Qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, économiques ou sexuelles, les violences faites aux femmes restent une cause de mortalité majeure.

En Belgique, plus de 1 femme sur 3 a déjà subi des violences. Chaque année, on compte plus de 20 000 plaintes. 1 femme sur 5 est victime de harcèlement au travail et 9 sur 10 ont déjà subi le harcèlement de rue.

Les violences sexuelles sont dans 98 % des cas commises par des hommes, généralement proches des victimes : le conjoint (48 %), un membre de la famille (10 %), une connaissance (13 %), une personne liée au travail (7 %). Dans 50 % des cas, ce sont des faits répétés. Pour 65 % des victimes, il s’agit de la plus grave expérience violente de leur vie. (Institut pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Belgique, 2010.)

Dans ce dossier, nous avons pris le parti de genrer les victimes aux féminin et les auteurs au masculin, dans un ordre de cohérence en regard de ces statistiques.


Interview
"Accompagner les femmes victimes à retrouver du pouvoir d’action."
Rencontre avec Véronique Nicolas, Directrice du Service d’aide sociale aux justiciables de Verviers



Quelles sont les missions de votre service?

Le SASJV est un service d’aide sociale aux justiciables. Le terme justiciable comprend trois types de bénéficiaires : les victimes, les auteurs sous mesures alternatives, donc sous condition, et enfin les auteurs incarcérés, détenus ou prévenus à l’établissement pénitentiaire de Lantin. Nous avons trois missions : une mission d’accompagnement psychologique, d’accompagnement social et l’aide au lien.

Une incarcération peut engendrer un coût multidimensionnel dans le lien aux proches, à la famille, aux enfants… Nous avons donc un rôle d’aide logistique pour permettre que ce lien perdure au travers de l’incarcération.

Nous travaillons beaucoup avec la maison de justice, une autorité qui va vérifier l’exécution des conditions relatives aux mesures alternatives à l’incarcération. Avoir un accompagnement thérapeutique des auteurs fait souvent partie de ces conditions et c’est là que notre service est sollicité, nous travaillons à la gestion des émotions et à ce qui conduit au passage à l’acte. Chaque catégorie de justiciable peut faire appel à nous de façon totalement gratuite.

Si l’infraction pénale est au coeur de nos interventions, il n’est toutefois pas nécessaire pour une victime d’avoir déposé plainte, il faut néanmoins que les faits qui l’ont amenée à nous contacter soient susceptibles d’entraîner une condamnation pénale. Cela peut être une personne qui a subi des violences dans l’enfance et puis qui, en fonction d’un élément déclencheur dans sa vie actuelle, décide de faire appel à notre service pour un accompagnement psychologique. 70 à 80 % de notre travail s’articule autour de ces missions psychologiques.

Quelle place les violences faites aux femmes occupentelles dans votre structure?

L’ASBL enregistre plus ou moins 70 à 80 % de rencontres avec des justiciables autour de violences contre les personnes, souvent dans un contexte de violences intimes. Ce que nous appelons violences intimes, ce sont les violences conjugales, les violences intrafamiliales et les violences sexuelles qui se passent dans la sphère privée.

Les chiffres et statistiques prouvent très clairement que ce sont majoritairement les femmes qui sont victimes de violences.

Oui, cela conduit inévitablement à avoir une lecture plus genrée et systémique du phénomène des violences faites aux femmes. Car la violence est genrée. Dès le plus jeune âge, il y a beaucoup de stéréotypes sur les comportements attendus selon que l’on soit garçon ou fille. Selon les foyers, ce conditionnement sera présent de façon plus ou moins forte. Je pense que ces représentations jouent un rôle dans les mécanismes de violences. L’un des objectifs de notre structure, c’est de pouvoir accompagner les femmes à sortir de ce statut de victime pour retrouver du pouvoir d’action et se réinvestir sur d’autres pans, travailler sur l’insertion sociale et professionnelle, l’isolement, les solutions de garde pour les enfants…

Aussi, les difficultés que peut rencontrer une femme pour sortir d’une situation violente ne sont pas toujours bien comprises. C’est compliqué pour une victime de se présenter dans un service d’aide. Parfois, elle n’a pas conscience d’avoir subi des violences. Elle va présenter une histoire de vie difficile, puis mettre en évidence des pressions, sexuelles ou autres, une atmosphère de domination, un continuum de violence qui s’est inscrit dans la durée. Il y a tout un travail de conscientisation auprès de la victime, sur le concept de viol conjugal et la notion de consentement par exemple (1). À savoir aussi que les violences intrafamiliales vont souvent se superposer à la violence conjugale et aux violences sexuelles.

La réponse juridique à ces violences est-elle adéquate?

La réponse de tout temps aux actes répréhensibles, c’est la peine privative de liberté. C’est un véritable débat éthique et philosophique qui se pose. La prison permet-elle à l’auteur d’éviter la récidive? À fortiori dans les conditions actuelles d’emprisonnement en Belgique? Est-ce vraiment la réponse souhaitée par les victimes?

La prison, c’est mettre quelqu’un hors d’état de nuire, mais sans forcément assurer de travail éducatif. On ne fait que promouvoir un éventuel nouveau passage à l’acte, on ne met pas en contexte cette grille de lecture plus systémique de violence dans la sphère privée dont je parlais plus tôt.

La détention coûte par ailleurs très cher à la société. Notre ministre de la Justice continue de privilégier l’incarcération pour les peines de moins de 3 ans, quitte à développer de nouveaux centres de détention. Cette réponse punitive va dans le sens d’une certaine justice populaire. Car au niveau de l’inconscient collectif, remettre en question ces principes reste sensible.



Il est vrai que ces problématiques ne peuvent se régler sans un changement de paradigme dans le chef des auteurs.

Depuis 5 ans, les violences ne cessent d’augmenter. Nous trouvons qu’il y a intérêt à croiser le regard de la victime avec celui de l’auteur. Entre le moment où il y a plainte et le moment où le jugement est rendu, beaucoup de temps s’écoule généralement, au point que l’auteur, même s’il est conscient de la problématique, peut finir par se convaincre lui-même que la victime est responsable de ses difficultés.

La victime ne se retrouve pas toujours dans la condamnation pénale, qui va statuer sur une peine de prison, une mesure alternative ou une amende. Que ce soit parce que l’auteur est insolvable, que la peine n’est pas celle attendue… Cela peut donner à la victime le sentiment qu’il y a toute une partie de la peine qui lui échappe, qui la laisse démunie.

Je pense au travail de l’ASBL Mediante, Centre pour une justice restauratrice. Sa mission, c’est l’aide à la communication entre victimes et auteurs. Il n’y a pas forcément de rencontre physique, cela peut être par le biais d’une lettre. Cela concerne les arrangements financiers, mais pas uniquement, c’est donner la possibilité à la victime d’être écoutée par l’auteur dans ses termes, cela donne un cadre à ses besoins et permet in fine une réparation qui, même si elle est symbolique, est importante. Ce type d’initiative est très riche et malheureusement peu développé.

Qu’est-ce qui permettrait de mieux accompagner les victimes?

Il y a peu de communication entre les différentes procédures et cela peut avoir des répercussions importantes. On peut se retrouver dans des situations aberrantes, où des juges décident par exemple d’une garde alternée alors qu’il y a eu des faits avérés de violences conjugales dans un couple.

Pour une femme qui a eu le courage de prendre des dispositions pour se mettre en sécurité ainsi que ses enfants, et qui doit se relancer dans un combat de garde, ce n’est pas rassurant. Un partenaire violent pourra essayer d’atteindre son ex-compagne de toutes les manières possibles, et notamment au travers des enfants.

Ensuite, je pense que nous avons besoin de généraliser les pratiques, par exemple au niveau de l’assistance policière. On tend vers l’uniformisation, mais il existe encore des zones où les plaintes des victimes ne sont pas toujours reçues de la même façon, selon le policier qui y est confronté. Il y a tout un travail nécessaire de formation et de sensibilisation des différents acteurs du monde judiciaire.

Enfin, il est nécessaire de pouvoir articuler au mieux l’offre et la demande dans les services d’aides. Permettre à tout justiciable de consulter un service gratuitement, c’est élémentaire, mais nous ne pouvons pas toujours couvrir les besoins que nous identifions sur le territoire.

Il y a d’autres besoins spécifiques à Verviers, notamment pour les personnes migrantes qui parfois ont subi des violences dans leur pays d’origine (mutilations génitales, mariages forcés) ou durant le parcours migratoire, qui auraient besoin d’être accompagnées de façon adéquate. Nous n’avons actuellement ni les outils ni les moyens pour cela et cela me désole, car ces réalités sont bien présentes.

(1) Une enquête effectuée en 2014 par SOS Viol et Amnesty International montrait que 24,9 % des femmes belges – soit une sur quatre – étaient ou avaient été victimes de relations sexuelles forcées de la part d’un conjoint. Sondage réalisé sur un échantillon de 2 000 Belges entre 18 et 75 ans.




CHIFFRES
Violences conjugales, qu’en est‑il en Belgique?

→ 12 % des femmes belges ont subi des violences sexuelles (Agence des droits fondamentaux de l’UE, 2014)
→ 23 % des femmes disent avoir été victimes au moins une fois d’attouchements dans les lieux publics (SPF santé publique, Belgique, 2014)
→ 3 000 viols sont enregistrés par an en Belgique (8 viols par jour), alors qu’on estime que seuls 10 % des viols sont dénoncés (Amnesty International, Belgique, 2014)
→ Entre 2010 et 2015, 50,21 % des dossiers ouverts à la suite de plaintes pour viol ont été classés sans suite. Dans 60 % des cas, ces dossiers ont été classés sans suite faute de preuves suffisantes, 16 % l’ont été parce que l’auteur présumé demeurait inconnu, et 140 dossiers n’ont pas fait l’objet de poursuites par manque de personnel dans les services de recherche judiciaire de la police (Réponse du ministre de la Justice Koen Geens à une question parlementaire, décembre 2016)
→ 56 % des Belges connaissent dans leur entourage au moins une personne qui est ou a été victime de violences sexuelles graves.
→ 24,9 % des femmes se sont fait ou se font imposer des relations sexuelles forcées par leur partenaire/conjoint.

Source : egalitefillesgarcons.cfwb.be


DISON
Journées Ruban blanc

Le 25 novembre est la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Quelques actions seront menées par plusieurs associations à Dison et à Verviers.

– 21 novembre : action de sensibilisation sur le marché hebdomadaire de Dison (PAC Verviers et Soralia).
Installation d’un ruban blanc géant à décorer pour montrer son soutien envers cette action (PCS et son atelier tricot couture).

– 24 novembre : action de sensibilisation rue Neuve à Dison (PAC Verviers et Soralia) + projection du film "Mon roi" au Centre culturel de Dison. 

– 25 novembre au 6 décembre : mini exposition à la Bibliothèque de Dison, composée d’extraits de livres de témoignage.

Actions organisées par le PCS, la Maison médicale La Bulle d’air, les bibliothèques publiques locales, la Régie des quartiers Havre- SAC, la Ville de Dison, Soralia, le Centre culturel de Dison et la police.


SOCIÉTÉ
Comment les médias minimisent les violences envers les femmes

Le 18 avril 2021, un féminicide était commis à Rochefort. Et que pouvait-on lire sous la plume d’un journaliste? "(…) c’est dans la commune de Rochefort qu’un fait malheureux s’est produit ce dimanche soir". "Un fait malheureux", voilà un bien doux euphémisme pour désigner un meurtre conjugal…

Lorsqu’on dit "crime passionnel", l’un des deux mots est faux. Cette expression minimise l’acte. "L’idée est que l’individu est emporté par une force qui le dépasse et n’est donc plus responsable de ses actes", explique la linguiste Anne-Charlotte Husson.

"Parler de crime passionnel conduit à déplacer l’accent du crime vers la passion amoureuse et, de ce fait, à dédouaner au moins en partie le coupable, lui-même victime de ses passions". Il faut donc remplacer l’expression "crime passionnel" par "crime possessionnel", "meurtre conjugal", "meurtre par le partenaire intime" ou par "féminicide". D’autant plus que le crime passionnel n’existe pas: il n’a jamais fait partie du Code pénal.

Nommer les violences faites aux femmes

Entré dans Le Robert en 2015 et dans Le Larousse en 2021, le terme "féminicide" désigne l’assassinat d’une femme parce qu’elle est une femme. Les militantes et associations féministes ont eu à coeur de faire entrer ce vocable spécifique dans le langage courant afin de nommer et rendre visible un phénomène systémique.

De façon récurrente, les féminicides surviennent le plus souvent dans un contexte de séparation. Un homme ne tue pas sa femme par amour. Il considère "sa" femme comme sa possession et ne supporte pas l’idée de perdre le contrôle sur elle.

Source: "Des crimes contre la moitié de l’humanité, comment en parler dans les médias?", Université des Femmes, A-M. Impe, janvier/juin 2021.