Pollution à l’acide des sols et des cours d’eau, expropriation de leurs terres des paysans et des éleveurs, travail des enfants, corruption des élites pour l’octroi de permis d’exploitation… en République démocratique du Congo, la course au cobalt – chaque batterie en nécessite 10 kilos – s’accompagne d’une cohorte de fléaux.

En Scandinavie, où les principaux gisements européens ont été identifiés, ce sont les risques environnementaux qui suscitent les craintes des populations locales.










Interview 
"Les enjeux miniers sont cruciaux, mais méconnus"

Le documentaire "Cobalt, l’envers du rêve électrique", proposé au Centre culturel de Dison dans le cadre du Festival de Résistance, pointe la face cachée d’un marché stratégique, dont la demande est promise à une croissance exponentielle pour réaliser le rêve européen de neutralité carbone. Entretien avec Quentin Noirfalisse, qui réalise avec Arnaud Zajtman cette enquête saisissante.



Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur ce film?

J’ai été amené à travailler sur ce projet car je m’intéresse au Congo et aux enjeux de ressources naturelles depuis 2008, je traite également ces sujets au sein de la rédaction de Médor (NDLR : magazine belge indépendant d’investigation). Les enjeux de mines et de matières premières sont très présents au Congo, surtout à l’est du pays et au Katanga, où se déroule en partie le documentaire.

Le cobalt est un minerai que le monde entier s’arrache pour mener sa "révolution verte", pourquoi?

Depuis une quinzaine d’années, l’Union européenne publie une liste de minerais stratégiques nécessaires à l’industrie. Aujourd’hui, des décisions ont été prises pour faire passer le parc automobile vers l’électrique. Effectivement, une voiture électrique pollue moins qu’une voiture thermique, que ce soit en termes d’émissions de CO₂ ou de son processus de construction.

Pour cela, des métaux seront nécessaires, dont le cobalt, qui est utilisé dans les batteries de voiture, mais aussi de téléphones, d’ordinateurs… Il permet de stabiliser les composés chimiques et rallonge la durée de vie des batteries. Il y a donc un choix politique de remplacer les véhicules par de nouveaux, avec une technologie plus "verte". Le but du film n’est pas de crucifier la voiture électrique, ce que nous dénonçons toutefois, c’est qu’il s’agit là d’une réponse industrielle et finalement très capitaliste à un problème de société, à savoir la crise climatique.

Et donc, ce cobalt, on ne le trouve pas partout…

On peut trouver du cobalt au Maroc, en Russie, en Australie, au Canada, à Cuba… Mais le marché est surtout dépendant du Congo, car le minerai y est de bonne qualité et on en trouve en plus grande quantité.

Les chaînes minières se caractérisent par l’opacité dans l’acquisition des concessions, la pollution générée par ce type d’industrie et le fait que les retombées économiques engrangées par le secteur ne bénéficient pas à la population sur place. L’extraction du cobalt est un bon exemple, car il cristallise toutes ces problématiques. Si dans cinq ans d’autres technologies se développent et que le cobalt disparaît des batteries, non seulement les Congolais n’en auront pas profité, mais ils paieront l’"après cobalt" pendant longtemps.



Quelles sont les conséquences de cette extraction au Congo?

Une bonne partie du cobalt est extraite par les sociétés industrielles, des multinationales basées en Chine ou en Europe. Nous nous sommes d’abord intéressés à celles-ci, qui se présentent comme tout à fait correctes et responsables. Au Congo, les mines appartiennent à la Gécamines, une société nationalisée en 1960 au moment de l’indépendance, puis pillée par le président Mobutu Sese Seko dans les années 1990. Pour ramener des financements, le pays a dû ouvrir ses mines aux multinationales.

Sauf que les contrats d’octroi des concessions vont donner lieu à un vaste système de corruption, les terrains vont être vendus à très bas prix et de gré à gré, sans appel d’offres. L’État congolais aurait perdu plus de 1 milliard de dollars dans ces transactions (NDLR: ces transactions opaques pointent notamment Dan Gertler, un milliardaire israélien qui aurait perçu plus de 75 millions de dollars américains par le géant minier Glencore, qui aurait versé ensuite des pots-de-vin à des hauts fonctionnaires congolais pour défendre ses intérêts miniers. Des paiements qui auraient dû être versés à la Gécamines, conformément aux modalités du contrat initial. Source: France Info).

La corruption n’est pas un crime sans victime, lorsqu’une mine passe d’une main à une autre du jour au lendemain sans reprendre les employés, c’est une toute une partie de la population qui se retrouve sans emploi. Il y a aussi l’impossibilité d’exploiter les terres ou les étangs à cause de la pollution. À l’échelle de la Terre, cela peut avoir l’air d’un petit impact, mais le problème est que ces situations se répètent au fil de l’histoire.

Et puis, outre les mines industrielles, il y a le phénomène des mines artisanales.

Il y a une réelle augmentation de la demande de cobalt ces 15 dernières années (NDLR : la demande mondiale avoisine 140-150 000 tonnes, mais pourrait atteindre 250 000 dans les 5 ans à venir), celle-ci est liée à la multiplication des batteries, de téléphones d’abord, puis des voitures électriques. Cette ruée vers le cobalt a provoqué de nombreux déplacements de la population congolaise dans la région du Katanga, pour travailler dans des mines artisanales.

Dans ces mines à ciel ouvert, c’est tout un écosystème et une hiérarchie sociale qui se créent: les femmes lavent les minerais, les hommes creusent, on trouve des stands de boissons, d’outils, de la prostitution… Cela pose un certain nombre de problèmes. Imaginez que l’on découvre une source de cobalt à côté du Centre culturel de Dison et que 20 000 personnes arrivent pour creuser des galeries avec peu de mesures de protection. Non seulement cela détruit le territoire petit-à-petit, mais il y a des risques d’éboulements, d’accidents en tous genres.

C’est un travail très dur qui comporte des répercussions sur la santé des creuseurs.

Le travail de Célestin Banza, Directeur du département de toxicologie et de l’environnement de l’université de Lubumbashi, détaille les effets à long terme de l’exploitation minière, surtout lorsqu’elle n’est pas régulée. Il indique entre autres que lorsqu’un creuseur descend dans un puits, son taux d’oxygénation du sang passe de 98 % à 70 % et risque potentiellement l’asphyxie.

Même si les Congolais font ce travail volontairement, ils sont malgré tout les victimes d’un marché et d’un État qui ne parvient pas à leur offrir des solutions d’emploi. Je n’ai croisé aucun creuseur qui dit aimer ce travail, il y a une réelle contrainte économique.

Ces creuseurs ont des familles, beaucoup prennent ces risques pour permettre à leurs enfants d’aller à l’école. C’est important de reconnaître leur travail en marge du système, qui représente entre 15 et 30 % de la production mondiale de cobalt. On compte au Congo 2,5 millions de personnes travaillant dans le secteur minier formel ou informel, c’est le premier employeur du pays.



Votre film développe aussi le sujet de l’extraction minière en Finlande, seul pays membre de l’Union européenne dont le sol contient les minerais utiles à la production de batteries.

Le cas de la Finlande permet en effet de montrer cette tentative de recréer un secteur européen relocalisé. Cet exemple est d’autant plus intéressant, car il s’agit d’un pays aux antipodes du Congo. Là où le Congo est souvent le dernier du classement en termes d’index de développement, la Finlande se situe plutôt dans le peloton de tête.

Ce qu’on a voulu montrer, c’est que peu importe l’endroit, l’industrie minière pose les mêmes problèmes, car ce sont les mêmes acteurs qui exploitent les territoires. Les firmes ne sont pas si nombreuses, les grosses sociétés minières que sont Glencore (Suisse), BHP (Australie), Vale (Brésil) ont des mines partout dans le monde, énormément d’employés et pèsent 200 à 300 milliards de dollars de chiffres d’affaires par an.

Cela nous renvoie à nos propres modèles, si germait l’idée de rouvrir des mines en Belgique, cela donnerait certainement lieu à des refus, des révoltes. La question se pose pourtant, comment fait-on pour trouver ces matières premières, comment améliore-ton le cycle de production? Il y a des avis très différents.

Je pense que même si les mines ne posaient pas de problèmes, le débat est beaucoup plus large et dépasse le film, il repose aussi sur l’ensemble de nos modes de vie, sur notre rapport à la croissance.

Au regard de ces constats, que peut-on espérer vis-à-vis de ces entreprises minières peu scrupuleuses?

J’adorerais qu’un film ait un impact direct et fasse bouger les choses, ce n’est pas toujours aussi simple. La question de l’information est primordiale selon moi, car on peut avoir de l’impact sans informer correctement. Si nous voulons une transition propre, le fonctionnement de l’industrie doit l’être également. 

Le problème de ce secteur est son opacité, aucun citoyen n’achète du minerai. Les noms, les structures, les avoirs des mines passent par un faisceau de paradis fiscaux, cela augmente la complexité. La mauvaise image ou la réputation d’une firme minière est plus difficilement appréhendable. Au final, ces enjeux sont importants, cruciaux, mais généralement assez méconnus de la population.

Au niveau individuel, je pense que la première question est de reconsidérer ses besoins, ai-je besoin de ma voiture pour ce trajet ou est-ce que je peux faire autrement ? Il faut aussi s’adresser aux intermédiaires, ceux à qui nous allons acheter ces voitures dans les années à venir, mettre une pression pour qu’ils améliorent leurs pratiques. Ce que l’on souhaite, c’est plus de transparence et un vrai débat de société sur ces questions.



Engagement
Les DoMineurs, un collectif citoyen contre les mines



"Non aux mines, ni ici, ni ailleurs". Tel est le slogan visible sur la page Facebook des DoMineurs, un collectif créé en 2018 et qui souhaite interpeller les citoyens sur le code de gestion des ressources du sous-sol (le décret sous-sol).

En septembre dernier, ses membres ont mené des campagnes d’affichage dans la région verviétoise. "Malgré la très forte opposition des populations locales, la Région wallonne et le Gouvernement fédéral mettent tout en oeuvre pour (r)ouvrir des mines de métaux en Wallonie", annonçaient des affiches jaunes épinglées comme un "Avis à la population".

Convaincu que le gouvernement (wallon) "applique la relance minière en Europe dans l’ombre la plus totale depuis plusieurs années", le collectif entend que la question soit débattue avec les citoyens. "Ce qu’on souhaite, c’est informer la population pour que chacun puisse s’approprier la thématique, la rendre accessible à n’importe qui."

Pourquoi s’opposent- ils à l’extraction minière?

Derrière ce combat spécifique mené par les DoMineurs, c’est "notre mode de vie" qu’ils invitent à repenser. "On veut nous faire croire qu’ouvrir un nouveau gisement ici va permettre d’arrêter une extraction ailleurs (en respectant un autre pays), mais c’est faux. On est dans un système additionnel. Le renouvelable ne remplacera pas le pétrole, qui lui-même ne remplace pas le charbon, qui ne remplace pas non plus le bois. On nous pousse vers une société numérique, connectée, en nous faisant croire à des énergies renouvelables propres (ce qui est faux, prenez les besoins d’une éolienne : 1 800 tonnes de béton, 300 tonnes d’acier, des kilos de néodyme, etc.). Ce qu’on fait, c’est accentuer le problème derrière le fantasme de l’évolution énergétique. On continue à alimenter une économie industrielle dévastatrice sous prétexte de sauver le monde, plutôt que de repenser notre mode de vie d’une manière différente et réellement durable".

Sources:
L’Avenir, "La ministre Céline Tellier a rencontré à Verviers deux collectifs contre la réouverture des mines (DoMineurs et Déminocratie): rencontre constructive", Cindy Thonon, 24/03/23
L’Avenir "Ils collent des affiches partout mais qui sont les DoMineurs? Quels sont leurs buts?", Pierre Lejeune, 4/10/22


Conseil lecture
Le monde sans fin



Fruit de la rencontre entre Christophe Blain, auteur majeur de la bande dessinée, et Jean-Marc Jancovici, éminent spécialiste des questions énergétiques, cet ouvrage éclairé s’avère passionnant et invite à la réflexion sur des sujets parfois clivants, notamment celui de la transition énergétique.

Le monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique Ch. Blain et J-M. Jancovici – Dargaud, 196 p., 2021