Chaque année, les Centres culturels et les bibliothèques de Dison et de Verviers organisent une série d’actions dédiées à la lecture et à l’écriture. L'opération "Les mots nous rassemblent" proposera entre le 15 et le 27 novembre prochain plusieurs activités liées aux mots. Les mots, des alliés indispensables que nous souhaitons célébrer, entendre… et lire!

Lire, justement, et découvrir d’autres points de vue, écrits sous différentes formes, c’est l’enjeu du dossier de ce mois.
Pour que les mots nous rassemblent au sens littéral, vous découvrirez ci-après plusieurs textes issus d’un atelier d’écriture organisé en octobre dernier. Par ce partage, Présence amorce ainsi une dynamique plus collective, avec le souhait de pouvoir ponctuellement ouvrir ses pages à d’autres expressions!



Oser publier ses écrits est un exercice difficile, nous remercions donc chaleureusement les participant.es ainsi que l’animatrice Marie-Ève Maréchal de s’être investi.es dans cette aventure et de nous avoir confié leurs textes.


Entre le premier jet et le point final d’un texte, que se passe-t-il? Combien de grands écarts, d’exaltations et de sauts dans le vide? Ci-dessous, trois envolées poétiques sur l’écriture, les joies et les craintes qu’elle suscite…

Claire Boudron

Elle était noire et pleine poussière
J’osai la toucher, l’effleurer
Le souffle de ma bouche, et soudain, je la vis prête, déjà, et
Le papier doucement tel le velours
Vierge, je souffle sur mes mains froides
Il neige dans le silence
La buée de la fenêtre s’effaça
J’entends, tic
Tel un cri je veux exister,
Elle parla comme un torrent
De plus en vite, heureuse de vivre
Elle qui croyait dans un cercueil de grenier
Lourde, implacable
Elle oublia d’être industrielle
Elle cracha de l’encre,
Presque elle s’excuse.

Hilda Fontaine
Écrire est ma respiration
Ma délivrance et ma passion
Les mots qui s’alignent et qui chantent
Qui me perturbent et qui m’enchantent
Par l’encre qui leur donne place
Me rendent l’espoir et l’espace
Écrire est ma respiration
Ma délivrance et ma passion
Bien des colères, bien des galères
Bien des frustrations, des combats
Quand la plume a su les coucher
Sur une feuille de papier
Nous semblent tout à coup dérisoires
Ou tout du moins, moins délétères
Que dans la nue réalité.
Écrire est ma respiration
Ma délivrance et ma passion.

Michaël De Bona
Lettres et mots, dans votre voltige et vos tourbillons, trop longtemps je vous ai délaissés pour me dire.
Trop longtemps je vous ai défiés pour ne plus vous lire.
Du plaisir de la correspondance épistolaire est issu le dégout de l’humain, de moi-même, de ce monde en perdition que vous tentez, vainement, de décrire.
Tourbillons de phrases enchevêtrées, slogans et gros titres se précipitent à nos oreilles saturées.
Silence!
Vous avez gravé dans ma tête un sillon infranchissable entre les mots… et les choses.
La paix intérieure, bizarrement, ne me paraît pas concevable sans votre agencement.
De l’indicible au lisible, de l’expérience à son partage, que d’étapes à franchir qui résonnent comme autant de glas…
Lettres et mots, je vous en conjure, retenez votre souffle et retrouvez votre force! Celle de la démiurgie, de la magie, de la thérapie.


Dans notre magazine, nous tentons modestement de porter un regard sur nos sociétés et de prendre un temps de recul sur ce qui nous entoure, de façon à encourager l’esprit critique. À suivre, deux textes chargés de cette observation qui mêne au constat, à l’analyse, puis, parfois, à l’action.

M.C.
Mes chers petits enfants,

C’est un triste héritage que vous lègue notre société de consommation, dont j’ai fait partie. Je vivais confortablement, mieux que mes parents, qui eux-mêmes ont probablement vécu mieux que les leurs. J'étais le cul dans le beurre sans m’en rendre compte.

Quelques illuminés, dont ma soeur, ont bien commencé à employer un mot jusque-là inconnu par moi : "écologie".

Mais j’avais bien d’autres préoccupations à l’époque : les études, les amours, les sorties… Et dans les décennies qui suivirent : le boulot, les enfants, la maison, les activités diverses, loisirs et autres. La vie était à la fois amusante, trépidante et épuisante. Je n’avais pas le temps de regarder plus loin que le bout de mon nez.

Mes chers petits, je vous observe et j’ai mal au ventre quand je vous vois tellement heureux et insouciants. Je voudrais être sourde quand mon petit doigt me dit que…

J’ai si peur pour votre avenir. La génération de vos parents a vite eu la puce à l’oreille. Il a fallu un peu plus de temps pour que ma génération lui emprunte le pas. Maintenant, nous courons à perdre haleine pour essayer de rattraper le temps perdu. Malgré le compost au fond du jardin, les panneaux solaires, la limitation des déchets et du gaspillage en tout genre… tous nos efforts actuels me semblent bien dérisoires et tardifs face au désastre.

Mes chers petits, j’espère de tout mon coeur de mamy que l’amour que vous avez reçu de tous ceux qui vous aiment tant, vous donnera cette force et ce courage qui vous permettra de surmonter, solidairement, les épreuves à venir.

Avec tout mon amour et tous mes espoirs, pour mes petits-enfants, pour leur génération et les générations à venir.



Jacky
On parle beaucoup des changements rapides et définitifs de notre société. Climat, pandémies, explosion démographique, épuisement des ressources, perte des valeurs traditionnelles, sont au centre de discussions souvent défaitistes, souvent des discussions de comptoir s’abreuvant à des sources d’information incomplètes ou incertaines. Mon petit doigt m’a dit que… qu’en est-il exactement?

Je crains quelquefois d’être victime, en discutant avec mes amis du même âge, du syndrome du vieux con : le monde change, ce n’est pas aussi bien qu’avant, les jeunes ne respectent plus rien, et oui, ma pauv’ dame, c’est à cause de toutes ces fusées qu’on envoie dans l’espace.

Bien sûr, je ne nie pas que des bouleversements importants, plus rapides qu’auparavant, menacent l’avenir de mes descendants, et qu’il est important d’en être conscient et d’essayer d’endiguer les effets de ces bouleversements.

J’ai toutefois deux certitudes concernant ces changements inéluctables. L’une est plutôt positive, l’autre, j’en ai peur, parfaitement et terriblement négative.

Je commence par laquelle? Étant d’un tempérament optimiste, je préfère commencer par la négative et terminer sur une bonne note.

La première certitude est celle de la catastrophe annoncée. J’ai une foultitude d’exemples à donner pour vous convaincre, mais je n’en citerai qu’un.

Concernant les problèmes énergétiques, il ne faut pas se fourrer le doigt dans l’oeil jusqu’au coude: on sait depuis longtemps que les ressources en combustibles fossiles sont limitées. Dans les années 70, on estimait même que le pétrole serait en pénurie endéans les 50 ans, ce qui a été démenti par la suite par la découverte de nouveaux gisements, mais cela ne fait que reporter le problème. Le nucléaire n’est pas plus pérenne, les ressources en uranium étant encore plus congrues. Pourtant, depuis ce temps, aucun plan global, à long terme, chiffré, coordonné n’a été élaboré pour assurer l’avenir énergétique de la population mondiale. C’est seulement lors de l’effondrement de l’économie liée à une pénurie massive d’électricité, par exemple, que des réactions drastiques auront enfin lieu. Je pense donc que, quel que soit le domaine considéré, nous courons à la catastrophe, et c’est seulement après que des mesures réelles seront prises. Il suffit de regarder ce qui s’est passé récemment dans notre région, avec les inondations.

Bon, maintenant, passons à la vision positive: au début du 19e siècle, à Paris, la densité de population et la fréquence des transports étaient telles que l’on craignait un blocage total et une insalubrité structurelle dans la ville à cause de l’amoncellement des crottins de chevaux. D’aucuns préconisaient alors un sévère retour en arrière pour éliminer ces inconvénients dus au développement trop rapide de l’activité économique dans la cité. Ils croyaient avoir le nez fin. On sait ce qu’il en est advenu, les chevaux ont été remplacés par les trains, trams puis automobiles, ce qui a résolu le problème, fût-ce à moyen terme. Je pense vraiment qu’il ne sert à rien de prôner un retour en arrière, qui n’aura de toute façon pas lieu, ni de se lamenter sur l’évolution et de regretter un passé de toute manière révolu.

Faisons confiance aux nouvelles technologies qui émergent et émergeront pour résoudre nos problèmes. Autrement dit, il faut voir plus loin que le bout de son nez, et sans avoir la tête dans les étoiles, faisons confiance au génie des hommes qui auront le nez fin.


Dans l’histoire qui suit, vous serez invité.es à quitter ce monde pour mieux y revenir. Un conte, un univers empreint de fantastique qui dit quelque chose de notre réalité. Autorisez-vous ce petit moment d’évasion pour vous forger un avis sur le message qu’il délivre!

La rose éternelle
Josée Dispas



Ils étaient tous à la recherche de la rose éternelle. Son parfum, disait-on, envoûtait celui et celle qui le respiraient. Il annihilait toute sensation de faim, de soif et de douleur et rendait chaque être heureux et bienveillant les uns envers les autres. Bref, cette rose magique était gage de paradis pour ceux qui la découvriraient.

Quelques animaux se décidèrent bientôt à s’unir pour accéder à ce nirvana. Ils firent la trêve. C’est ainsi que le renard, la poule, la souris, le faucon et le cochon s’entendirent pour mettre en commun leurs diverses aptitudes. On savait que cette rose était protégée par une épaisse forêt mystérieuse qui recélait sans doute bien des dangers et qu’il faudrait éviter.

Le faucon prit son envol le premier comme éclaireur. Les autres se mirent en marche et s’enfoncèrent dans les taillis bordant la forêt. Après deux heures de marche, guidés par le faucon, ils arrivèrent près d’un cours d’eau. Assoiffés, ils s’y précipitèrent afin de se désaltérer. La poule qui voulut s’ébrouer dans la fraîcheur du ruisseau fut bientôt emportée par le courant. Alerté par ses caquètements désespérés, le renard se jeta dans l’eau pour secourir la malheureuse qu’il ramena sur la berge. Celle-ci le remercia et le lendemain lui pondit un bel oeuf qu’il s’empressa de dévorer.

Les animaux continuèrent leur périple, toujours guidés dans le ciel par le faucon. Le cochon s’alimentait de glands, la poule et la souris de graines glanées sur le sol ou sur les plantes, le faucon et le renard, quant à eux, des oeufs que la poule pondait ainsi que des insectes que cette dernière s’interdisait de toucher afin d’assurer leur subsistance.

Quelques kilomètres plus loin, le renard s’enfonça dans un chemin fort broussailleux et finit par s’y enchevêtrer. Il ne put bientôt plus s’en dépêtrer. La souris, alors intervint, et avec ses petites dents rongea les végétaux qui emprisonnaient le pauvre renard. Celui-ci lui en fut infiniment reconnaissant. Toujours guidés par le faucon, ils durent traverser vaille que vaille ce chemin. Le cochon prit la tête du groupe et avec ses pattes aplatit les hautes herbes dégageant ainsi le passage pour ses camarades. On continua le voyage.

Cependant, quelque chose d’étrange et d’inquiétant se dégageait de cette forêt. Dans un premier temps, on ne sut dire pourquoi, mais un malaise planait. Après quelques instants de réflexions, les animaux se rendirent compte qu’ils étaient seuls. Pas d’autres oiseaux, pas d’autres mammifères, ni reptiles. Seuls les insectes étaient présents. Ils continuèrent néanmoins leur chemin.

Tout à coup, le faucon revint se poser sur une branche près de l’endroit où les autres arrivaient. Il leur indiqua qu’à moins d’un kilomètre à travers la forêt, s’étendait une clairière baignée de lumière. Les animaux accélérèrent le pas et débouchèrent, en effet, sur celle-ci. Quelle ne fut pas leur surprise lorsqu’ils découvrirent au centre une vingtaine de roses dorées! Ils approchèrent et l’effluve d’un parfum infiniment délicieux les envoûta tour à tour. Le faucon, lui, n’ayant pas d’odorat, fut cependant étonnamment grisé. Ils comprirent alors qu’ils avaient trouvé le trésor qu’ils cherchaient et que celui-ci était bien plus important que l’histoire ne leur avait conté.

C’est ainsi qu’ils vécurent heureux, évoluant dans un bien-être jusqu’alors inconnu. Sans faim, sans soif, sans douleur, aux côtés de ces roses dorées et resplendissantes, qui embaumaient l’air d’un parfum irrésistible et apaisant. Les animaux ne se nourrirent plus, ne buvaient plus et ne sentaient même pas les griffures des épines des roses qui les écorchaient.

Petit à petit, un sentiment de lassitude les envahit et la fatigue s’installa. Ils se regroupèrent et s’allongèrent, pelotonnés les uns contre les autres, sur le sol, près des roses dorées et parfumées. Ce qui devait arriver, arriva. Décharnés par le manque de nourriture, déshydratés par le manque d’eau et infectés par les écorchures des roses, ils s’endormirent, épuisés, puis moururent. Ils se décomposèrent rapidement dans cette terre. Ils n’étaient plus.

Les roses se gavèrent ainsi de leurs substances décomposées, ce qui leur permit de se multiplier et de proliférer toujours un peu plus… Nul n’en sut rien. Ainsi perdura la promesse de la rose éternelle qui attira bien d’autres rêveurs à la quête d’un paradis utopique dont le parfum pervers les condamna à mort.