"Non essentiel". Le secteur de la culture n’est pas le seul à porter cette estampe depuis plusieurs mois. Nos salles ont été fermées, nos ateliers ont été annulés, mais nous ne nous sommes pas départis de notre créativité. Selon les moments, elle veille, infuse ou explose, elle nous permet d’aborder certains événements avec d’autres lunettes.

Et vous? Pensez-vous être doté.e.s de créativité? Elle vous accompagne peut-être plus que vous ne le pensez…









Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la créativité n’est pas uniquement réservée au domaine de l’amusement et ne se limite pas exclusivement aux métiers et techniques artistiques. La créativité se lie bien volontiers à la résilience, la capacité à surmonter des obstacles et permet d’imaginer d’autres modes de fonctionnement, d’autres méthodes de travail et d’autres manières de penser, pour réagir plus vite et mieux faire face. En ce mois de janvier, période propice au renouveau, Présence désacralise et étire la notion de créativité au travers de témoignages et d’une interview liée à un projet porté par le Centre culturel de Dison.


Témoignages 
Comment la créativité vous accompagne au quotidien…

▸ Sylvie Vandersanden - Artiste-Animatrice



La créativité existe partout, tout le temps. C’est un état d’esprit. Cela me permet de toujours penser que tout est possible, surtout dans des situations difficiles comme on a pu les vivre. Parler aux gens autour de soi et être à l’écoute font partie de la créativité, des projets naissent sur base d’une simple idée échangée. Même s’il y a forcément des moments de créativité en solitaire, elle est beaucoup plus riche et foisonnante lorsqu’elle est partagée.

Quand des enfants me disent en atelier qu’ils ne savent plus quoi dessiner, je leur dis souvent que l’inspiration, c’est comme un papillon, c’est une énergie qui passe par nos têtes. Et quand il s’arrête sur la tête, il faut juste être ouvert. Pour moi la créativité, c’est à la fois invisible et vivant!

▸ Patrick Donnay - Directeur du Festival Paroles d’Hommes



Mon histoire est très particulière, mais évidemment comme le sont toutes les histoires. Je suis né avec une malformation cardiaque, ce qui m’a empêché de vivre normalement comme un petit garçon de mon âge. Grâce à une opération très délicate aux USA, je pus enfin, à l’âge de 10 ans, découvrir un nouveau monde. Durant toutes mes humanités, je me suis toujours senti différent… Avoir le corps marqué par tant de cicatrices, cela n’aide pas à s’assumer.

Ma place dans la classe, je l’ai trouvée grâce à toutes les activités parascolaires auxquelles je prenais part. Jusqu’au jour où il a fallu se décider pour des études supérieures. Je fus appelé dans le bureau de mon titulaire de classe. Et là, il me pose la question: "Alors Patrick que veux-tu faire plus tard?". Je lui réponds "avocat, logopède…" Il me regarde droit dans les yeux et me demande: "Il n’y a pas une chose à laquelle tu rêves?". Je lui réponds : "Oh oui, j’aimerais être chanteur, comédien mais tout cela ce n’est pas possible!" Interrogatif, il me dit: "Pourquoi?" en me montrant les différents dépliants des principales écoles de théâtre. Je réponds "Mes parents ne voudront jamais, surtout mon père". Il embraye: "Ça, c’est mon problème!"

À la fin de l’année, à la remise des résultats, il prit mes parents à part et leur expliqua que ce serait bien de me laisser tenter d’entrer dans une école de théâtre. De toute façon, il y avait un examen d’entrée que je ne réussirai peut-être pas et en fin de la première, on pouvait me dire que je ne convenais pas! Il serait encore temps de choisir une autre voie…

Après 4 ans d’études et 42 ans de carrière professionnelle, je viens de prendre ma pension au théâtre National. La créativité m’a permis de devenir l’acteur et l’homme que je suis devenu. Cette enfance volée m’a fait développer cent mille vies. Aujourd’hui devant n’importe quel rôle je suis encore cet enfant différent qui a toujours envie de jouer et qui espère encore le faire longtemps…

▸ Giovanni Biasiolo Styliste



La créativité est ancrée au plus profond de mon être, et tel le sang qui coule dans mes veines, elle fait partie intégrante de moi… L’envie constante de créer, de trouver de nouvelles idées, de penser, de rêver et de se laisser emporter vers un nouveau monde qui n’existe pas, me donne cette raison de vivre. Imaginer, concevoir et donner vie à de nouvelles idées, qu’elles soient de l’ordre du palpable ou non, tel est mon défi quotidien.

Lorsque la création ne fait qu’une avec vous, elle permet de vous évader en vous exprimant sous une autre forme… Elle vous permet d’oublier le quotidien qui par moment peut devenir lourd à porter. D’autant plus dans cette période très difficile où le métier d’artiste ne trouve pas sa place… et pourtant… il peut apporter tellement!
 


Entretien
"L''imaginaire est au service du concret"

Issue du Conservatoire de Liège en art dramatique, Claire Blach a fondé sa compagnie CDM2047 (Cour des miracles 2047) en 2005, avec la volonté de créer des spectacles extra-muros, des aventures proposées au public dans des lieux incongrus, mais aussi le désir de partager son goût pour l’expression orale et l’écriture.

Elle anime également les ateliers d’improvisation théâtrale au Centre culturel de Dison. Privée de ce vivier d’échanges et d’expressions multiples, Claire Blach a lancé en novembre dernier, avec l’appui du Centre culturel, Des fenêtres sur nos rêves, des moments de rencontres virtuelles dédiés à l’expression. Un projet de création collective en confinement où les rêves pourront traverser l'écran!

Comment est né le projet Des fenêtres sur nos rêves?

Il est né de questionnements échangés avec l’équipe des ateliers du Centre culturel sur les impacts des mesures sanitaires sur les acteurs culturels et la population. Je me suis demandé ce que je pouvais apporter. Je sentais que les gens manquaient d’écoute. J’ai eu envie de proposer une bulle d’air, une bulle d’art, un espace où l’on peut se retrouver pour partager des sensations, échanger.



Le projet a débuté le 25 novembre et se poursuivra jusqu’à la mi-janvier, comment se sont passées les premières séances?

On a fait pas mal d’exercices, nous nous sommes offerts des temps pour travailler la respiration, des moments d’écriture, des créations d’histoires collectives, des chants, de la lecture de textes liés aux rêves… Chaque moment est filmé et enregistré, une expérience nouvelle qui nous permet d’explorer le rapport à la caméra, à la lumière. Personne n’a l’habitude de ce type de rapport virtuel, dans le théâtre encore moins. Des interactions naissent entre les fenêtres, je suis agréablement surprise de voir la complicité qui commence à émerger au sein du groupe, car l’un de nos objectifs est aussi de recréer du lien entre les personnes, de rompre avec l’isolement.

Quelle forme cette création prendra-t-elle?

Je n’avais pas d’idée de formalisation a priori, il faut être à l’écoute des personnes, voir ce qui les fait rêver, quelle serait la chose la plus importante à réaliser. Le but n’est pas d’aborder ces questions de manière scolaire, mais de réaliser des exercices qui ouvrent une porte à l’imaginaire. Nous allons essayer que la forme finale respecte à la fois les mesures sanitaires et nous-mêmes, dans notre plaisir d’être là. Nous créons entre nous un monde qui sera ensuite partagé avec d’autres!



Entre la pandémie, les tensions sociales et économiques, 2021 est un peu un cap symbolique…

En effet, nous sommes soumis à des impératifs qui nous dépassent. L’objectif du projet est aussi de se préserver d'un trop d'informations négatives, d’essayer de reconquérir son corps, la confiance en soi et en l'autre pour aborder 2021 différemment.

Pourquoi la création, la créativité sont des éléments importants à cultiver au quotidien, que ce soit pour faire face aux mutations que nous connaissons, ou en général?

La créativité permet de résoudre des problèmes très concrets du quotidien, cela passe par des petites choses. On l’utilise tout le temps, parfois sans s’en rendre compte. Dans des moments comme celui-ci où l’on devrait penser "utile", "essentiel", tout est cadenassé. La créativité et l’imaginaire sont "des muscles" qui se travaillent et s’entretiennent. Parce que ça en vaut la joie!

La notion de créativité est d’ailleurs souvent envisagée de façon restreinte.

Oui, alors que c’est très large. On pourrait comparer cela à la cuisine, il y a des personnes très attachées à suivre les recettes à la lettre et c’est très bien, mais on peut aussi adapter les ingrédients selon ses besoins et ses ressources! C’est symbolique, mais c’est une manière de dire qu’il y a d’autres possibilités, qui sont stimulées par la créativité et font découvrir des saveurs inattendues. "Oser" est vraiment le maître mot selon moi: oser mener des expériences, oser quitter le cadre habituel… L’imaginaire est indispensable pour rendre une qualité à notre quotidien.

Quelques envies, vœux à formuler pour cette nouvelle année?

J’espère que nous pourrons dépasser le cap de la peur, que nous pourrons nous réunir, nous entraider. J’espère que nous pourrons nous étreindre à nouveau, toutes générations confondues. J’espère évidemment que les projets auxquels je participe pourront se réaliser, que je pourrai continuer à proposer des espaces de créativité, parce que cela fait partie des essentiels vitaux!



Illustration: Odile Brée.