Trois syllabes anodines font désormais partie du vocabulaire courant mondial : "co-ro-na". Comme vous, certainement, nous avons été débordé·e·s par le flux d’infos sur le sujet.

La presse, la télévision, la radio, les réseaux sociaux, les conversations avec des proches ou avec des personnes dans la file d’un magasin. Le Covid-19 s’est immiscé dans nos vies, dans notre façon de travailler, de consommer ou simplement d’être à l’autre.










Société
Une pandémie sans domicile fixe

Comment avoir du recul sur une crise alors que nous sommes en train de la vivre? L’analyse fine attendra encore un peu, car ce qui saute aux yeux et qu’il nous semble important de relayer avant tout, c’est que cette crise révèle de façon très concrète les inégalités structurelles de nos sociétés.

Cette crise sociale existait certainement avant le virus, mais il en a été un puissant révélateur et accélérateur. Les premières victimes du Covid-19, ce sont les plus pauvres et les plus vulnérables, surtout dans les pays qui ne disposent pas d’un système universel de santé publique. Ceux qui n’ont pas de domicile où rester confinés. Les demandeurs d’asile, parfois livrés à eux-mêmes et entassés dans des camps où les conditions de vie peuvent être précaires. Les pays pauvres d’Afrique doivent affronter la pandémie, alors que leurs systèmes de santé peu développés sont déjà asphyxiés par d’autres épidémies.

Oui à la distanciation, non à l’exclusion

En Belgique, Unia, Myria et le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, appelaient en mars dernier à ce que les mesures de lutte contre la propagation du Covid-19 soient appliquées dans le respect des droits humains.

Ces institutions se disaient préoccupées par les conséquences "particulièrement lourdes sur de nombreux groupes dans la société".

Elles citaient notamment les cas de parents d’enfants handicapés placés en institution et confrontés à un vrai dilemme: ramener leur enfant lourdement handicapé à la maison et s’en occuper eux-mêmes, ou le laisser dans l’institution et n’avoir aucun moyen de communication avec lui avant la levée des mesures. En outre, "les personnes en situation de pauvreté et de précarité n’ont pas toujours accès aux ordinateurs et aux tablettes, ni à l’information diffusée électroniquement et par le biais des réseaux sociaux", relèvent les trois institutions. Les enfants et jeunes dans de telles situations éprouvent de nombreuses difficultés dans le cadre de l’enseignement à distance actuellement préconisé, ce qui renforce les inégalités déjà existantes.

Une opportunité de basculement ?

Les crises sanitaires ont souvent accompagné de grands basculements historiques. Celle-ci pourrait-elle représenter une opportunité de repenser nos modèles ? De s'interroger sur les mécanismes économiques et politiques qui nous menacent plus qu'ils ne nous aident ? La corona, couronne en espagnol, ne pourrait-elle pas nous rappeler à notre humilité ? À la nécessité d'investir d'autres règnes, de rééquilibrer les forces ? 

Dans quelle société désirons-nous vivre ?

Sources
www.cncd.be, Le Covid-19, révélateur de toutes les crises
www.lesoir.be, Coronavirus : les associations de défense des droits humains sont préoccupées 


Interview
"La précarité continue pendant la pandémie"

Entretien avec Wendy Verlinde, Directrice Générale du CPAS de Dison, qui nous explique comment son service, mais aussi ceux qui en dépendent, font face à la crise sanitaire actuelle.



Quels sont les impacts d’une situation comme celle-ci pour le CPAS ?

Il faut être capable de gérer l’urgence et de faire face à une multitude de consignes qui nous viennent quasiment heure par heure, que ce soit des autorités, fédérales, régionales ou communales. C’est une situation inédite, notamment en termes de gestion du personnel. Outre notre service d’aide sociale, nous gérons la maison de repos du Couquemont. Nous sommes un service public, nous ne pouvons pas fermer. Il était primordial de pouvoir rassurer le personnel et le préserver, tout en continuant à travailler et à garder un encadrement optimal de nos résidents.

Et qu’est-ce que cela implique pour vos publics ?

Il y a d’abord l’impact sur les résidents de la maison de repos, qui n’ont plus droit à des visites. Nous avons acheté des tablettes pour qu’ils puissent continuer à avoir des contacts vidéo avec leurs familles. Nous avons renforcé l’équipe d’animation et avons mobilisé des ergothérapeutes, des kinés, des assistantes sociales.

En ce qui concerne les personnes suivies au niveau du service social, il n’y a plus de permanences physiques, tout se fait par téléphone ou par mail. Nous traitons le courrier en respectant le délai de 24 h de confinement. Nous avons réduit les effectifs en présence en divisant l’équipe administrative et sociale en deux. Nous tournons au ralenti tout en assurant le traitement des urgences.

Quelles sont ces urgences ?

Malheureusement, la précarité ne s’arrête pas parce qu’il y a une épidémie, au contraire même, elle s’accentue. Les personnes qui étaient déjà isolées en temps normal le seront encore plus, certaines nous appellent ne serait-ce que pour avoir un contact humain. Il y a aussi la barrière de la langue, les personnes qui pouvaient se faire aider pour traduire n’ont plus forcément ces ressources. Elles peuvent se sentir démunies de ne pas pouvoir faire état de leurs besoins. Les services d’interprétariat sociaux ont mis des choses en place, heureusement, mais cela a pris un peu de temps.

Toutes nos activités sont évidemment suspendues, que ce soit les cours de français, les modules collectifs pour travailler sur l’insertion sociale... Cela accentue l’isolement. Aussi, la razzia dans les magasins complique l’accès à des denrées de première nécessité à moindre coût. Officiellement, les magasins n’ont pas augmenté leurs prix, mais nous avons constaté cette difficulté.

Il y a 262 CPAS en Wallonie, c’est quoi, la réalité de terrain pour le CPAS de Dison ?

Notre CPAS est particulier dans le sens où Dison est une petite commune, mais avec une population socioéconomiquement précarisée. Nous avons des collaborations et des partenariats avec le réseau associatif de Dison et de Verviers, mais nous sommes malgré tout moins servis en services de première ligne qu’à Liège par exemple. Tous les CPAS vous diront qu’ils manquent de moyens, et encore plus maintenant. Même si le gouvernement fédéral a dégagé certains subsides spéciaux, cela restera de toute façon en deçà des besoins de chaque CPAS, y compris celui de Dison.

Quel est l’appui de nos institutions fédérales vis-à-vis du CPAS dans cette crise ?

J’ai reçu aujourd’hui un arrêté royal (le 7 avril au moment de l’interview) portant sur des mesures d’urgence à matière d’aide alimentaire à destination des publics cibles des CPAS. Pour vous donner une idée de grandeur, nous avons droit à 13332€, avec plus de 800 personnes qui émargent chez nous et 25 % de chômage. Sans compter toutes les personnes qui devront peut-être faire appel à nous par la suite, celles qui étaient déjà sur le fil au niveau financier et qui ont été mises au chômage pour force majeure, ou les petits indépendants.

Est-ce juste selon vous de dire que la crise sociale était là avant la pandémie, que le virus la rend plus visible et plus fulgurante ?

Cela fait des années que le monde social dit que ça ne va pas, que l’on rogne toujours un peu plus sur les budgets, que l’on fait toujours porter un peu plus la pauvreté sur les épaules des CPAS et des finances locales. Les différents niveaux de pouvoir se déchargent pour des raisons que l’on peut entendre, mais voir que les statistiques nationales annoncent moins de chômage en Belgique, cela laisse perplexe. Les personnes qui ont perdu leurs droits aux allocations de chômage se sont retrouvées pour la plupart au CPAS.

La fracture entre la classe moyenne et les personnes précarisées devient de plus en plus ténue, le travail ne prémunit plus contre la précarité.

Comme pour le secteur médical, la crise met le focus sur une situation qui était déjà problématique...

Tout ce qu’on entend dans les médias par rapport au sous-financement des soins de santé, vous pouvez le transposer de la même façon au social. Il est important de donner aux personnes les moyens d’être acteurs et citoyens à part entière, et ce n’est pas en rognant sur les budgets de l’aide sociale qu’on y parviendra.

Dans une interview RTBF, Alain Vaessen, président de la fédération des CPAS de Wallonie, disait qu’il y a beaucoup de budgets pour aider le monde économique, mais qu’il faudra aussi, à un moment donné, aider le monde social. Quel est votre sentiment face à ce constat ?

Je suis tout à fait d’accord. Vouloir donner des primes au personnel soignant par exemple, c’est très bien, mais qu’on nous donne plus de moyens pour engager du personnel dans les maisons de repos ou pour engager des travailleurs sociaux. Sortir de la précarité, ce n’est pas qu’une question de budget, il faut acquérir certaines compétences, cela va au-delà d’un simple problème de ressources. Ce travail social se fait par un accompagnement au quotidien.

Quel écho avez-vous eu suite à votre initiative de plateforme solidaire sur la commune ?

Nous avons eu plus de propositions d’aide que de besoins. Nous nous sommes rendu compte qu’il y avait aussi des besoins qui étaient spontanément rencontrés sans que l'on doive activer la plateforme. Jusqu'à présent, toutes les demandes ont été rencontrées, soit via des bénévoles, soit à travers d’aides plus précises qui relevaient plutôt du service social. Notre plateforme est inscrite sur le site impactdays.co où les gens peuvent proposer leur aide.

S’il y a vraiment quelque chose à retenir de cette situation, c’est qu’il y a de la solidarité. C’est dommage qu’il faille une crise pareille pour pouvoir la palper à ce point, mais c’est plutôt positif. La situation est compliquée, mais les gens du terrain sont motivés, je suis fière de nos équipes, les travailleurs se donnent, ils sont conscients de la responsabilité qui est la leur.

 


Asile et migration
Le Centre Croix-Rouge de Fraipont

Au Centre Croix-Rouge Le Merisier à Fraipont, plus de 400 résident·e·s ont vu leur quotidien bouleversé et leurs procédures d’asile s’allonger.



Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants demandent chaque année protection à la Belgique. Ainsi, en 2018, les centres Croix-Rouge ont accueilli au total 9 359 personnes en quête d’une vie meilleure. Originaires de Guinée, d’Afghanistan ou d’Érythrée, ils totalisent à eux tous 89 nationalités différentes. La Croix-Rouge les accompagne au sein de ces centres collectifs le temps de leur procédure d’asile.

Emmanuel Sindayhebura (photo), Directeur du centre de Fraipont, évoque les mesures qui ont été prises pour diminuer les risques de transmission du virus "De par la situation du centre, les résidents vivent déjà une certaine forme de confinement au quotidien, les structures sont assez retirées de la ville, de la vie même. Le Coronavirus a renforcé le confinement premier, nous avons dû changer tout le fonctionnement, annuler ou postposer les activités, les formations, les animations, etc."

Autre défi pour le directeur, le manque de place. Des nouveaux centres étaient en passe d’être ouverts, ces projets sont désormais en stand-by. Cela pourrait s’avérer problématique au vu de la situation actuelle : "Nous sommes au maximum de la capacité d’accueil à Fraipont. Nous n’avons pas connu de cas de contamination, mais si cela devait se présenter, ce serait très compliqué de séparer les personnes et de prévoir des espaces de confinement."

Des procédures adaptées

À la mi-mars, l’Office des étrangers avait décidé de suspendre l’enregistrement de nouvelles demandes d’asile. Depuis le 6 avril, le service est à nouveau ouvert, avec quelques précautions d’usage "Les demandes ne se font plus en présentiel, mais par vidéoconférence notamment. Les instances d’avis ne reçoivent pas, le Commissariat général aux réfugiés ne fait pas de nouvelles convocations pour une audition, et donc le temps d’attente devient long."

Intégration, des manquements déjà constatés

En février dernier, le centre Croix-Rouge de Fraipont recevait la visite de la députée fédérale DéFI Sophie Rohonyi, qui mentionnait que "Cette rencontre a mis en lumière de nombreuses défaillances de l’État fédéral.". Le Directeur Emmanuel Sindayhebura ajoute "La moyenne du délai d’attente a diminué par rapport à il y a 10 ou 15 ans, mais cela reste relativement long. L’idéal serait que ces personnes soient fixées rapidement et puissent se projeter, ici ou ailleurs. Plus le temps d’attente est long, plus cela impacte leur vie, de même que leur santé physique et mentale."

Par ailleurs, le système d’accueil des demandeurs d’asile est parfois schizophrénique "On leur propose de pouvoir travailler pendant le temps d’attente de leur procédure, mais quand ils arrivent à décrocher un travail et souhaitent ouvrir un compte bancaire pour recevoir un salaire, c’est non. Ouvrir un compte, c’est devenu un parcours du combattant. Le discours est assez contradictoire et c’est très déstabilisant."

Régularisation temporaire au Portugal

La crise sanitaire a conduit plusieurs pays à assouplir leurs restrictions à l’immigration, c’est le cas notamment du Portugal qui a récemment régularisé de manière exceptionnelle ses immigré·e·s pour les protéger du Coronavirus et leur permettre de bénéficier des mesures de protection au même titre que l’ensemble des citoyen·ne·s. Et en Belgique ? "Honnêtement, je n’ai aucune information là-dessus. En Belgique, tout ce qui concerne la régularisation est complètement bloqué depuis des années, sauf au cas par cas. Je pense effectivement que le Coronavirus met à mal les personnes sans séjour légal, les sans-papiers, qui sont exposées à beaucoup de maltraitances, qui ne peuvent même plus travailler, ni vivre normalement."

Une bonne coopération avec la commune

Dans cette situation délicate, le Directeur se félicite de la relation qu’il entretient avec les autorités locales "Nous avons un très bon partenariat avec la commune de Trooz. Nous avons reçu des masques, la police est passée pour sensibiliser les résidents sur les mesures de distanciation, pour aussi faire passer le message que ce n’est pas de la stigmatisation, que cela concerne toute la population."

Renforcer l’État et la solidarité

À l’évocation de l’après-pandémie, Emmanuel Sindayhebura explique "J’espère que l’on va tirer des leçons de cette crise, que l’on va pouvoir être résilients. Nous nous sommes rendu compte, je pense, que ce qu’on appelle les métiers de base sont essentiels, c’est grâce à ces professions que la société tient. Il faudrait renforcer les services publics, leur donner les moyens de travailler et ne pas tout investir dans le grand capital, ne pas mettre autant d’argent dans les banques comme ce fut le cas pendant la crise de 2008."

Le Directeur conclut sur l’importance du vivre-ensemble "Nous avons les dirigeants que nous méritons, le citoyen lambda doit se rendre compte de l’importance de la solidarité et du geste politique qu’il pose. Le Coronavirus n’a pas de frontières, il a mis le monde sens dessus dessous, je pense que cela nous rappelle d’être solidaires, parce que nous sommes tous égaux en humanité."

Sources
www.accueil-migration.croix-rouge.be
www.defi.eu, Il faut des réponses concrètes à la hauteur de nos engagements moraux !