Nous avons rarement l’occasion de vous poser LA question qui nous taraude parfois à l’heure de boucler un nouveau numéro du magasine Présence... Nous lisez-vous ? Et si nous voulions aller un cran plus loin, comment nous lisez-vous ? De haut en bas ? En survolant les titres uniquement ? En commençant par la fin ? Ce que l’on pense savoir avec certitude, c’est qu’on lit moins qu’avant. Un poncif que l’on entend très souvent. Mais cela ne se- rait-il pas à nuancer ?

Une pratique qui évolue

De quoi parle-t-on précisément quand on parle de lecture ? Les livres, les journaux, les réseaux sociaux... ? Ce qui est certain, c’est qu’en 2019 et depuis pas mal d’années maintenant, les pratiques de lecture ont évolué. Si la lecture sur papier reste d’actualité, nos mirettes lui font quelques infidélités sur d’autres supports et se musclent les rétines avec d’autres manières de lire. À l’occasion d’une nouvelle édition de l’opération Les mots nous rassemblent, Présence se penche sur une pratique qui fait partie de notre quotidien et qui, comme lui, est sensible au changement.

En fonction du support, jetons un œil (et le bon) sur les évolutions des habitudes de lecture de nos concitoyens, notamment en se basant sur deux enquêtes de l’Observatoire des Politiques Culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles, datant de 2007 et 2017. Au final, on remarque qu’on ne lit pas forcément moins que par le passé, au contraire. Mais on lit aussi de manière différente. Maud Van Campenhoudt, chargée de recherche à l’Observatoire des Politiques Culturelles (OPC) détaille cela avec nous.

La presse: des nouveaux supports

Les journaux

La presse papier est en chute libre, personne ne lit encore les journaux... Voilà des phrases que l’on entend fréquemment. Mais est-ce vraiment le cas? Si on se base sur la lecture de la presse papier, c’est en effet le cas, souligne Maud Van Campenhoudt. Puisqu’entre 2007 et 2017, on passe de 61 % de la population qui la lit à 49 %. Par contre, cette diminution est atténuée par une montée de la lecture de la presse via Internet de 14 à 25 % – une augmentation qui concerne surtout les 25-34 ans. Une constante par contre, c’est que plus le niveau d’instruction est élevé, plus on la lit. Idem pour l’âge : plus on est âgé et davantage on lira les journaux.

Les magazines
42 % des francophones lisent régulièrement au moins un magazine. Un chiffre honorable dans une société où les écrans dominent. Et pourtant... Dix ans plus tôt, c’est 76 % de la population qui en lisait au moins un. Une chute drastique, donc, qui n’est que très partiellement compensée par la lecture de magazine en ligne pour 11 % de personnes. On constate par ailleurs que ce sont les magazines TV qui sont les plus plébiscités par les lecteurs. Des magazines TV qui, pour la plupart, au- delà des programmes, font la part belle à du people et/ou à l'acte, les loisirs, la culture...

Globalement, les chiffres de la presse ne sont donc pas si mauvais que cela, poursuit Maud Van Campenhoudt. On continue donc bien à lire journaux et magazines, mais sur des supports différents (ordinateurs, tablettes, smartphones). Une lecture peut-être un peu différente que par le passé, avec des textes plus courts, des formats adaptés, mais qui restent néanmoins ancrée dans les habitudes. De plus, on sous-estime sans doute quelque peu ce qui est lu sur le web, entre autres concernant la lecture d’articles partagés par les réseaux sociaux, qui est difficile à mesurer.

Les livres et BD

Première constatation, de plus en plus de personnes possèdent des livres et des bandes dessinées chez eux: de79% en 2007 à 88% en 2017. Ce qui est un petit paradoxe à l’ère de la lecture sur supports digitaux, analyse Maud Van Campenhoudt.
Pour ce qui est de la BD, ce sont essentiellement les 16-24 ans (de sexe masculin) qui en détiennent le plus. 

Beaucoup disposent de livres chez eux, ce qui n’est pas synonyme de lecture pour autant. Ainsi, la dernière enquête de l’Observatoire des Politiques Culturelles démontre que 32 % des francophones n’ont pas lu de livre durant l’année écoulée, qu’il s’agisse de roman ou d’autres styles, ce qui reste un chiffre relativement important. Par contre, dans les 12 derniers moins, on pointe que 27 % ont lu moins de 5 livres, 24 % de 5 à 19 livres, 9% de 20 à 52 livres et 6% ont lu plus de 50 livres. Concernant ces lecteurs.trices, il s’agit davantage de femmes et la proportion augmente en fonction du niveau d’étude. Enfin, quand on parle de livres, ce sont surtout les romans que les gens lisent le plus (policier et espionnage, aventure et classique).

"On lit différemment"

Osons la question qui fâche et quelque peu réductrice: lit-on moins qu’avant ? Maud Van Campenhoudt se lance: si on parle de la lecture "traditionnelle", sur papier (journaux, livres...), alors, oui, on lit un peu moins. Cette différence est néanmoins à nuancer quand on prend en compte la lecture électronique. De plus, quand on parle de lecture, on peut aussi prendre en compte tout ce qu’on peut lire d’autre sur les réseaux sociaux, les blogs, les forums... et tout cela, même si nous n’avons pas de chiffres précis, est en augmentation. Finalement, on a un peu l’impression que les gens lisent tout le temps. Les pratiquent sont donc en pleine évolution et si on lit toujours beaucoup aujourd’hui, on lit différemment que par le passé.

Les bibliothèques

32 % des francophones ont fréquenté une bibliothèque au cours des douze derniers mois. Parmi les visiteurs réguliers – surtout des femmes – on retrouve les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur et les jeunes. D’ailleurs, de manière générale, plus on vieillit et moins on entre dans les bibliothèques. Enfin, 43 % des personnes interrogées assurent fréquenter une fois par mois une librairie – ce sont les 55-64 ans qui le font le plus.


Les bibliothèques: des structures en mutation

Les bibliothèques publiques, comme celles de Dison, proposent non seulement un service de prêt de documents, mais donnent aussi la possibilité à leurs usagers de se former aux nouvelles technologies ou de participer à un grand nombre d’activités fort variées autour de la lecture et notamment des animations culturelles. C'est pourquoi le Centre culturel et la Bibliothèque de Dison collaborent d'ailleurs très fréquemment. Rencontre avec Élise Bailly et Valérie Vanherp de la Bibliothèque Pivot à Dison.



C'est quoi, les missions d'une bibliothèque aujourd'hui?

Elise Bailly: Notre mission de base, c’est le prêt, faire vivre les collections et répondre aux demandes des personnes qui se présentent pendant nos périodes d’ouverture. En dehors de cela, nous avons également un service de prêt inter-bibliothèques. Nous avons aussi développé ces dernières années un pôle d’animation envers les public, c’est très varié, cela peut être des animations dans des écoles ou destinées au tout-public, dans le cadre de partenariats.

Valérie Vanherp: Nous accompagnons aussi nos publics dans l’avancement des nouvelles technologies, via notre catalogue en ligne, le prêt de livres numériques ou la mise à disposition d’un PC gratuitement dans nos locaux. Durant les animations, notre objectif est de donner le goût de la lecture et de développer les pratiques langagières en favorisant l’expression orale, la créativité, l’échange entre les personnes. Le livre devient presque un support parmi tant d’autres, un prétexte à la rencontre. Nous avons aussi pour mission de garantir l’accès aux droits culturels pour tous.

"Le livre devient un support parmi tant d'autres, un prétexte à la rencontre."

Comment une bibliothèque peut-elle jouer un rôle concret dans la réduction des inégalités dans l’accès à la lecture?

V.V.: Nous nous rendons par exemple en maison de repos deux fois par mois, pour pouvoir rendre accessible la lecture à des personnes qui n’ont pas forcément l’autonomie pour venir en bibliothèque ou les moyens financiers pour acheter un livre. Nous travaillons aussi dans les crèches  ou dans les maisons médicales en proposant des lectures. Par ailleurs, nos partenariats avec les écoles, le Centre culturel, le Plan de Cohésion Sociale ou encore la Maison Médicale vont en ce sens.

E.B.: Plus on a de résonance sur le terrain, plus le public touché est varié. Par ailleurs, nos activités sont toujours gratuites. Le droit d’inscription à la bibliothèque est malheureusement payant, car les droits d’auteurs représentent une charge assez lourde pour des structures comme la nôtres, mais les prix restent accessibles.

"Nous avons pour mission de garantir l'accès aux droits culturels pour tous, plus on a de résonance sur le terrain, plus le public touché est varié."

Vous sentez donc que le métier de bibliothécaire a évolué?

E.B.: Ça n’a rien à voir avec les études de bases qui concernent plus l’encodage ou la catalographie, les notices de livres,… Au départ, les bibliothécaires n’étaient pas orientés vers les animations, on parlait à peine de la notion de gestion de projet. Mais cette évolution était nécessaire, c’est important d’avoir une vraie synergie entre les partenaires de terrain. 

V.V.: Je pense que les bibliothèques se sont adaptées aux pratiques des personnes pour rester dans le coup. Des études de la FWB ont montré que le nombre d’inscrits en bibliothèque a tendance à baisser et le nombre de prêt à augmenter. Ici, nous n’avons pas constaté de baisse! On voit aussi que le nombre de personnes fréquentant les animations augmentent.

E.B.: En effet, on ne désemplit pas, nous avons des nouvelles inscriptions tous les jours et les prêts sont en augmentation!

"Nous avons des nouvelles inscriptions tous les jours!" 

Comment appréhendez-vous les nouveaux supports de lecture tels que les livres numériques? 

E.B.: Nous lisons toutes les deux sur papier et sur liseuse. Quand le texte est bon, il l’est tout autant sur liseuse que sur papier! Après, c’est sûr que le rapport à l’objet est différent et amène une autre perception dans la lecture. Les lecteurs sont de plus en plus multi-supports.

V.V.: Nos liseuses sont surtout empruntées en période de vacances. Je ne pense pas que c’est un support qui va supplanter le livre, aux Etat-Unis, qui était précurseur, ça a déjà chuté. 

Pour terminer, des coups de coeur lecture à nous recommander?

V.V.: Une lecture intemporelle que l’on évoque souvent entre nous, Rebecca de Daphné du Maurier, c’est vraiment une perle! Je conseillerais aussi un auteur espagnol, Carlos Ruiz Zafón avec L’ombre du vent. C’est un livre très prenant, avec énormément de péripéties, un roman d’apprentissage qui va parler à beaucoup de monde. Pour les adolescents, Christelle Dabos et son Passe Miroir peut permettre à des jeunes de se mettre à la lecture dans un univers fantastique et original, un peu comme Harry Potter a pu le faire à son époque.

E.B.: Je conseillerais Olivier Truc, un auteur français installé en Suède qui a écrit une trilogie La police des rennes. C’est un polar original, doté d’une écriture poétique et qui décrit bien le monde des Sami, la minorité ethnique du grand nord. On voyage et on apprend beaucoup de choses!