Esmeralda Wirtz est une activiste et artiste verviétoise active dans les domaines de l’environnement, des droits humains et de la justice sociale.

Un soir de concert au Centre culturel, elle vient à notre rencontre de façon assez spontanée, car elle souhaite pouvoir partager les luttes qui l’animent depuis longtemps en matière d’écologie.

Au fil de rencontres avec notre équipe, a été imaginée une soirée mêlant collage et partage de réflexions. La soirée "Collage pirate" sera donc proposée le jeudi 29 février.

Pourquoi pirate? Car le fil rouge de cet événement est directement inspiré par cet ouvrage sorti en 2023: Pour une écologie pirate. Et nous serons libres, de Fatima Ouassak.

Pour cette militante écologiste française, il faut impérativement élargir le front écologiste en incluant les personnes issues de quartiers populaires.


Un constat largement partagé par Esmeralda Wirtz, qui dans l’interview ci-après nous parle notamment du fait qu’on ne peut pas défendre la planète, la terre, l’humanité, le vivant et la biodiversité sans évoquer le racisme ou le capitalisme. Par sa seule énonciation, la piraterie incarne la liberté, le caractère rebelle, stratège, collectif… et permet en plus, ce n’est pas de trop, à rêver à d’autres horizons… À l’abordage?

Interview
"Les personnes les plus écolos sont celles qui ont le moins d’argent"
Esmeralda Wirtz



Présence : Qu’est-ce qui t’a amenée à t’intéresser à l’écologie?

Esmeralda Wirtz: Je dirais que l’écologie a toujours été présente dans ma famille, par nécessité. Mes parents ne se disaient pas "militants écologistes", mais comme nous n’avions pas beaucoup de moyens, l’écologie était une façon de faire des économies. C’était donc à la fois une obligation et une fierté, car mes parents avaient une certaine conscience écologique. Ma mère était même un peu à l’avant-garde, avec ses achats en seconde main et en friperies.

Au regard de comment on perçoit l’écologie actuellement, c’est assez à contre-courant de dire que ta famille s’est inscrite dans une démarche écologique pour économiser de l’argent…

Oui, c’est vrai que l’écologie est vue comme quelque chose de coûteux: on visualise les boutiques de marque de vêtements écoresponsables avec des robes à 150€ minimum, le fait d’acheter tout en bio ou dans des épiceries en vrac, les investissements conséquents pour installer des panneaux solaires, quand on a la chance d’être propriétaire… Et pourtant, on constate que les personnes les plus écolos sont celles qui ont le moins d’argent, car elles ont moins d’impact sur l’environnement.

Et dans le même ordre d’idée, ce sont malheureusement en majorité les personnes les plus démunies qui sont les plus impactées par les changements climatiques.

Lorsque je discute avec une personne qui n’a pas encore forcément conscience du fait que ces enjeux sont interconnectés, je pose la question du pourquoi se préoccuper de l’environnement. Pour la planète? Elle a 4,6 milliards d’années, elle s’en sortira quoi qu’il arrive. C’est la vie humaine qui est en péril, mais quels humains en priorité?

En cas de catastrophes climatiques, les personnes qui ont le moins de moyens sont plus touchées. On peut aussi le voir entre les pays du nord et du sud. Les pays du nord ont le plus d’impacts sur l’environnement, mais ce sont les pays du sud qui écopent des tornades, des tsunamis… À Verviers, les quartiers qui ont été les plus impactés par les inondations étaient aussi les plus défavorisés, du fond de la vallée. Avoir moins de moyens, c’est aussi potentiellement avoir une moins bonne assurance, ne pas avoir un réseau familial élargi pour aider à rebondir, avoir des difficultés à trouver un logement d’urgence, etc. On ne peut pas se préoccuper de l’écologie comme si c’était un concept dissocié de toute réalité sociale, cela n’a aucun sens. C’est d’ailleurs là qu’entre en jeu le concept de justice environnementale.

On peut se dire qu’à l’heure actuelle, plus personne n’ignore les enjeux écologiques ni les catastrophes qui peuvent en découler.

Dans les milieux écolos, j’ai souvent entendu que les personnes pauvres ne se soucient pas de l’écologie, car elles doivent faire le choix entre la fin du monde et la fin du mois. Je ne pense pas que ce soit vrai, tout le monde sait pertinemment ce qu’il se passe. Il y a différents types de réactions possibles, on peut se sentir démuni·e par la situation et ne pas savoir par où commencer, on peut aussi essayer de faire des gestes à son échelle, mais se sentir coupable de ne pas pouvoir faire plus…

La culpabilisation envers les populations est vraiment très présente. Or l’écologie n’est pas un problème de responsabilité individuelle, même si tout le monde faisait ses petits efforts de colibris, reste que les grosses entreprises perpétuent leur dynamique capitaliste. Voir la classe populaire comme une masse de gens à sensibiliser, cela a un côté très déshumanisant.

Lorsque tu es venue à la rencontre du Centre culturel, tu nous as dit vouloir parler d’écologie avec les gens à proximité, qu’est-ce qui te semble important dans cette création de lien?

Un exemple me vient en tête pour illustrer cette envie : les personnes qui font partie des peuples autochtones représentent environ 5% de la population mondiale, mais elles ont un impact de 80% sur la protection de la nature. 80% de la biodiversité mondiale est donc gérée de manière durable par les populations autochtones. Cet élément nous raccroche au fait que tout est connecté: la culture, le territoire et les pratiques écologiques. 

Si une personne n’est pas connectée à son territoire, elle n’aura pas d’intérêt à le respecter, je pense que renforcer cette connexion est un élément important. Attention toutefois, car ce type de concept peut être détourné par des mouvements d’extrême droite, en jouant sur le fait d’être "chez nous". Mon idéologie va à l’inverse, ici peut potentiellement être chez tout le monde, et si tout le monde se sent chez soi, chacun·e pourra éprouver le besoin de prendre soin de son environnement.

Tu as eu l’occasion de représenter les jeunes francophones belges à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques en 2019, qu’est-ce que cette expérience t’a apporté?

J’avais postulé un peu par hasard et j’ai été étonnée d’être sélectionnée. Je n’avais pas l’espoir que de grands changements se produisent au niveau des COP, car depuis la COP numéro 1 les émissions de CO2 n’ont fait qu’augmenter, on ne serait pas à la 25e édition si les problèmes pouvaient se résoudre dans ce genre d’espace! J’avais toutefois envie d’en comprendre le fonctionnement et les dynamiques de pouvoir.

Ce qui m’a fait grandir en tant que personne et en tant qu’activiste, c’est de rencontrer des personnes du monde entier, certaines déjà touchées par les changements climatiques. On pourrait penser que vu la taille de notre pays, la Belgique a très peu d’impact, en comparaison avec la Chine ou l’Inde par exemple. Or, si l’on y regarde de plus près, la Belgique produit des gaz à effet de serre depuis 1850, au moment de sa révolution industrielle. Cette pollution de l’air est toujours là depuis, nous avons donc cette responsabilité historique. En termes d’émissions par personne, nos chiffres sont bien plus élevés que la Chine. Qui doit donc changer ses comportements? Nous avons une vraie responsabilité dans ces débats. Voir autour de la table des représentants des îles du Pacifique dire que leur terre serait engloutie d’ici 2030, que certaines populations n’ont déjà plus de maisons et vont devoir migrer, cela a forgé ma vision du monde.


SORTIES LITTÉRAIRES

"Les vrai·es héro·ïnes de l’écologie"



Esmeralda Wirtz a sorti en janvier dernier son premier livre, conçu comme un petit guide pour toutes les personnes qui veulent penser l’écologie autrement. Les vrai·es héro·ïnes de l’écologie s’adressent à celles et ceux qui se demandent comment prendre part à un monde meilleur.

Le postulat est que la plupart des mouvements écologistes dans le Nord sont conçus par et pour des personnes privilégiées, alors que les personnes qui mènent la vie la plus écologique sont celles que l’on soupçonne peut-être le moins. "Il est nécessaire d’aller au-delà du conte du colibri, où, à l’instar de chaque oiseau apportant une goutte d’eau pour éteindre un incendie, chaque individu pourrait faire des petites actions pour éteindre le feu qui consume notre planète. En effet, certaines personnes ont une responsabilité gigantesque dans ce grand incendie et n’ont aucun intérêt à ce que le feu s’éteigne. Pour le stopper, il faut s’organiser de manière efficace, aller dans une direction commune."

La dernière partie du livre est consacrée à la santé mentale, une thématique très importante pour l’autrice: "C’est très difficile d’être face à ces réalités, car beaucoup de gens souffrent déjà du changement climatique. J’avais donc envie de parler du fait de s’engager en étant attentif à garder la tête hors de l’eau, à ne pas se laisser trop envahir par le côté désespérant des actualités…"

→ Pour commander l’ouvrage en version papier (15€) ou électronique (9€), rendez-vous sur le site de l’autrice esmeraldawirtz.be

"La piraterie c’est prendre la mer et se libérer des humiliations que l’on vit"



La politologue Fatima Ouassak propose d’élargir le front de la lutte climatique avec l’écologie pirate. Sa stratégie? Un ancrage terrestre depuis les quartiers populaires; un regard tourné vers la Méditerranée.

Dans son dernier essai "Pour une écologie pirate, et nous serons libres" (La Découverte, 2023), Fatima Ouassak réalise une autocritique du mouvement écologiste qui, selon elle, ne remet pas en question le système d’oppression de classe, de genre et de race qui conduit à la destruction du vivant : "L’objectif principal de l’écologie majoritaire, c’est de maintenir un certain niveau de confort dans les frontières du Nord. Alors que la question climatique devrait au contraire exploser les frontières, et contraindre les écologistes à élargir le champ d’analyse à l’ensemble du vivant."

Ainsi, Fatima Ouassak en appelle à la piraterie: "L’écologie pirate, c’est une forme de rupture, de radicalité. C’est une forme de mutinerie face à l’écologie majoritaire qui n’est pas à la hauteur. C’est cette idée de liberté de circulation dans l’infini des océans. Et une manière d’associer l’Afrique dans le jeu. Cap au sud."


EN LIEN

Atelier collage pirate

Une soirée collage guidée par l’ouvrage Pour une écologie pirate – Et nous serons libres, de Fatima Ouassak.



À l’aide d’une paire de ciseaux et d’un pot de colle, partons à la conquête de bouts de papier et imaginons que nous sommes des pirates qui se battent pour un monde moins raciste, plus égalitaire et plus écologique. Lors de cette soirée, Esmeralda Wirtz accompagnera nos réflexions et partagera son parcours. "L’écologie pirate est donc un concept développé par Fatima Ouassak, politologue, autrice et écologiste française (lire au-dessus). Elle travaille beaucoup dans les quartiers dits de banlieues et défend l’idée de rendre l’écologie à celles et ceux qui peuvent la pratiquer au quotidien, en les rendant maîtres de leur espace. Outre le moment de discussion autour de l’ouvrage, cette soirée sera vraiment dédiée à l’imaginaire de la piraterie, nous sommes tous·tes concerné·es par le monde dans lequel nous vivons, ce sera l’occasion d’en parler et de l’imaginer de façon différente!".

L’atelier collage pirate est ouvert gratuitement à tous et toutes dès 16 ans, sans prérequis, le jeudi 29 février 2024 de 17h30 à 20h30 au Centre culturel de Dison (rue des Écoles, 2) • Réservation: www.ccdison.be