Il existe des points de vue différents sur le système capitaliste. Même les théoriciens les plus balèzes tels que Karl Marx ou Max Weber agrémentent leurs définitions de nuances dissonantes. S’il est donc ardu de pouvoir élaborer une définition universelle et inaliénable, on peut toutefois constater la résonance puissante de ce système dans tous les rouages de nos vies. 


En effet, souvent exclusivement associé à l’économie, le capitalisme n’est-il pas aussi complètement intégré dans notre culture, nos valeurs? Ne structure-t-il pas notre manière de pensée, notre rapport à la consommation ou même nos interactions sociales? N’est-il pas, aussi, un élément clé d’inégalités flagrantes à l’échelle du monde? Sommes-nous conscients de son imprégnation dans notre vie quotidienne? Sommes-nous capables de penser autrement, culturellement?


Et pourquoi pas un musée?


Vulgariser pour mieux en comprendre les enjeux, c’est le défi que ce sont lancé une quinzaine de jeunes entre 23 et 33 ans en 2012, suite à une visite du Musée du Communisme à Prague. Si on peut mettre le communisme dans un musée, pourquoi pas le capitalisme?



Le musée, qui est en réalité une exposition itinérante - jouer sur les mots c’est déjà susciter la réflexion - est un projet d’éducation permanente qui repose avant tout sur l’échange entre visiteurs.

La définition présentée dans le Musée est inspirée entre autre par celle de Boltanski et Chiapello, qui définissent le capitalisme comme l’exigence d’une accumulation illimitée de capital par des moyens formellement pacifiques. Encore une fois, tous ces mots peuvent poser question. Le parti pris de l’exposition est donc de baser sa définition sur des concepts qui trouvent un consensus : système, accumulation, profit, propriété privée.

Une exposition engagée, mais non partisane

Le musée souhaite rester objectif dans sa façon d'aborder la question du capitalisme, il s’agit d’un outil pédagogique qui place la construction du savoir entre les mains du visiteur, au fil de sa visite dans les espaces interactifs. Elle encourage la réflexion, les échanges et l’esprit critique sur le système actuel. Elle invite, par exemple, à se questionner sur ses propres privilèges, sur les égalités nord-sud, ou encore sur la finitude des ressources terrestres.

Pas de vérité absolue ni d’étalage de concepts hermétiques donc, mais un parcours didactique depuis les origines du capitalisme jusqu’à ses alternatives, en passant par les espoirs qu’il a suscités et par ses limites.

Le Val’Heureux, une monnaie citoyenne

Crée par quelques citoyen·ne·s ou lié·es au réseau Financité, la monnaie Val’Heureux a pour but de favoriser l’économie réelle, locale et éthique. Rencontre avec Alain Klein de l’asbl "De Bouche à Oreille" (1), un acteur local engagé dans cette démarche.


Le Val'Heureux, en quelques mots?

Il s'agit d'abord d'une initiative citoyenne. Le Val'Heureux est une monnaie complémentaire mais n'est pas une alternative à l'Euro. Ce n'est pas de l'argent d'ailleurs, car ne peut battre monnaie que l’État. Ce sont des bons de soutien à l'économie locale. Juridiquement parlant, c'est exactement la même chose qu'une carte de fidélité ou qu'un chèque cadeau. 1€ = 1 Val'Heureux. Le concept de monnaie citoyenne n'est pas neuf, on en dénombre plus de 5.000 dans le monde!

Comment à démarré l'aventure du Val'Heureux sur notre territoire?

La Val'Heureux existait déjà à Liège depuis plusieurs années. Dans notre structure "De Bouche à Oreille", nous étions déjà sensibles aux questions liées à l'alimentation, la santé, la consommation, l'environnement, etc. C'est une conférence donnée par Eric DeWaele de Financité (2) sur l'utilité des monnaies citoyennes qui a enclenché la réflexion auprès d'un groupe de citoyens. Parallèlement, des citoyens à Verviers, Ourthe-Amblève et Huy-Waremme étaient également dans ce processus. À Liège, il y avait le projet de réimprimer des Val'Heureux, c'était donc l'occasion d'agrandir la zone avec ces nouvelles régions, que nous avons appelés les vallées heureuses, d'où l'ajout de l'apostrophe. 300.000 Val'Heureux ont été mis en circulation en 2017.  

Qu'est-ce que ça a comme action bénéfique sur un territoire?

La première, c'est de kidnapper des euros. On sait que sur 100€ créés par le système, il n'y en a que 2 ou 3 qui restent dans l'économie réelle, le reste va dans la spéculation financière. La seconde, c'est bien entendu de soutenir l'économie locale et tout ce qui touche aux circuits courts. Les partenaires doivent répondre à une série de critères en termes d'environnement et d'équité sociale. C'est vraiment une façon d'inciter à la consommation locale et éclairée dans les deux sens, pour le public, mais aussi pour le commerçant. Acheter avec des Val'Heureux, c'est soutenir une série de valeurs sociétales.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le billet de 0 Val'Heureux ?

Le thème de ce billet est le lien social, sur l'autre face du billet on retrouve d'ailleurs la fresque "Dire Nous" présente à Verviers. Ce billet, c'est un clin d'oeil, une façon de dire qu'il n'y a pas que l'argent qui compte, qu'avec 0 Val'Heureux, on peut avoir infiniment plus! Il peut aussi bien servir pour remercier quelqu'un que pour un système d'échange local. Le Val'heureux au sens large n'est d'ailleurs pas limité aux commerces et à l'échange de biens, des prestataires de service ou des acteurs culturels peuvent y prendre part.

Que deviennent les euros convertis en Val'Heureux? 

Ils sont gardés bien au chaud parce que on doit pouvoir les rendre si les partenaires le souhaitent. Ça ne veut pas dire pour autant qu'ils doivent rester là, des pistes seront proposées en AG. C'est là où les partenaires qui deviennent automatiquement membres ont un pouvoir d'action sur ce qu'il adviendra du Val'Heureux. On pourrait très bien investir un certain pourcentage dans une coopérative par exemple.

Quand on est touchés par la précarité, n’est-il pas plus difficile d'accéder à cette démarche?

C'est certain que lorsqu'on ne peut pas assouvir les besoins de base, on n'a pas le loisir de penser à ce type d'initiative. Pourtant, en cas de crise financière, ceux qui paient le prix fort, ce sont encore les personnes en précarité. Lorsqu'on touche à des aspects tels que la finance, les gens ne se sentent pas concernés, ils pensent que ça "vole trop haut" et qu'ils ne peuvent rien y faire. Tout le monde à sa place dans la démarche mais il faut prendre beaucoup de temps pour déconstruire certaines idées. À partir du moment où les gens sont informés et conscientisés, ça fait bouger les lignes de force.

Le Val'Heureux s'est engagé à la souscription de NewB, une banque qui se présente comme citoyenne, éthique, durable. Vous pensez-donc que l'on peut s'opposer à un système de l'intérieur?

C'est vraiment espéré, surtout quand on voit les répercussions encore présentes d'une crise financière comme celle de 2008. Bernard Bayot, qui a lancé NewB, disait qu'il y a peut-être un risque de lancer une banque comme celle-là, mais que ça nous coûterait plus cher de ne pas le faire. On se rend compte qu'on a intérêt à lutter contre un système dominant qui crée de la monnaie à partir de la dette, qu'il est important de ne pas rester les bras croisés en attendant la crise suivante. Je pense donc que oui, il y a un espoir avec ce projet qui n'est pas basé sur la spéculation. NewB répond à une série d'angoisses du moment au sujet de la finance et ça vaut la peine de tenter le coup, 75.000 personnes et organismes y ont en tout cas cru suffisamment!

(1) ASBL qui promeut la finance éthique et solidaire.
(2) De Bouche à Oreille est un réseau d’éducation permanente, d’économie sociale et d’action sociale à Thimister.