À l’occasion de l’écoute collective de leur podcast "Un regard autrement" programmée le mercredi 3 décembre au Centre culturel, la rédaction de Présence s’en est allée à la rencontre du Mouvement Personne d’Abord.

Le Mouvement Personne d’Abord, dans sa version belge, est né en 1994 à Verviers, dans l’esprit de l’association québécoise du même nom "People First". Deux autres antennes sont nées depuis, une à Liège, l’autre à Namur. L’association, et surtout les personnes qui la composent, militent pour que les droits des personnes porteuses d’une déficience intellectuelle soient entendus, connus et reconnus.

Les locaux du mouvement sont situés rue de Rome à Verviers, un endroit accueillant, où les murs sont remplis de traces visibles des nombreuses actions portées par les membres. Le jour de notre venue, un atelier cuisine se prépare. Nous rencontrons sur place Caroline Bastin, chargée de projet, Vanessa Chapelle, présidente des trois antennes du Mouvement, Xavier Lacroix, administrateur pour l’antenne verviétoise et Monique Perau, administratrice de l’antenne namuroise.

Dans le fonctionnement interne du mouvement, les personnes porteuses de déficience intellectuelle sont majoritaires au conseil d’administration. L’association poursuit ainsi ce qui figure parmi ses valeurs fondatrices : l’autodétermination et l’autoreprésentation de ses membres.

Dire "JE" 

Vanessa : "Ce type de fonctionnement est plutôt rare. On décide quels seront nos projets, on gère nos finances… tout ! Un peu comme des patrons ! Apprendre à se positionner, à prendre la parole, à sensibiliser les autres, c’est un apprentissage de longue haleine. On dit souvent que le temps, c’est de l’argent, ici au Mouvement, on dirait plutôt qu’il faut du temps pour faire évoluer les mentalités !"

Dire "je" est une étape essentielle dans ce processus d’autodétermination : parler en son nom, c’est se connecter à son individualité et affirmer ses propres besoins.

Xavier : "Dans les institutions, les professionnels et les éducateurs ne nous laissent jamais décider pour nous-mêmes. Idem dans les entreprises de travail adapté, il arrive qu’on se mêle de nos vies privées."

Chaque semaine, dans chaque antenne, les auto-représentant·es participent à des réunions pour parler de leur quotidien, pour réfléchir ensemble à des possibilités pour une vie meilleure. Ils et elles réfléchissent et donnent leur point de vue concernant différents sujets : le travail, le logement, les institutions, le couple, la famille, la vie affective et sexuelle, les politiques menées concernant les personnes qui vivent une situation de handicap…

Vanessa : "Les autres croient savoir ce dont on a besoin. Nos droits sont bafoués, parce qu’en tant que bénéficiaire d’une institution, on n’a pas le droit de dire ce qu’on veut, de choisir sa vie comme on l’entend. Il faut rester dans un cadre, si tu dérapes, tu es puni… on te prive d’argent, par exemple."

Avant de dire "NOUS"

Être une "personne d’abord", c’est, dans un second temps, parler au nom du collectif, se représenter lors des réunions politiques, devant diverses instances, des écoles… Les auto-représentant·es se forment à prendre la parole, à donner des sensibilisations, des formations. Les membres participent aussi à des formations concernant le fonctionnement politique, la démocratie et les faits d’actualité.

En somme, un rassemblement d’êtres singuliers au sein d’une dynamique collective, toujours en mouvement.



Un lieu de contre-pouvoir

Lorsque le mouvement s’implante à Verviers au début des années 90, il est d’abord lié à une institution de santé mentale. Assez rapidement, un constat s’impose, celui de scinder ces deux entités dans la perspective d’acquérir une véritable indépendance de la pensée et de l’action.

Vanessa : "L’équipe voulait que les gens aient un endroit où l’on peut s’exprimer, évoluer… On peut parfois jeter un pavé dans la mare !"

Caroline : "Il était important de se libérer du prisme de l’institution et d’agir comme un lieu de contre-pouvoir, où on peut dire ce que l’on pense".

La déficience intellectuelle, les mots de l’invisible

Il a toujours existé des personnes fonctionnant au-dessus de la moyenne et des personnes fonctionnant au-dessous de la moyenne. La déficience intellectuelle est un phénomène socioculturel qui existe depuis les touts débuts de l’humanité, mais l’impact de ce handicap varie selon les exigences, les besoins et la conscience de la société en cause (Richard C. Scheerenberger, 1983).

La déficience intellectuelle a souvent été perçue comme un état permanent de la personne. Elle est maintenant vue comme un état présent qui peut se modifier si les interventions et les formes de soutien adéquates sont mises en place (Ruth Luckasson et autres, 2003).

Actuellement, les termes les plus utilisés pour désigner la déficience intellectuelle en Europe et en Amérique du Nord sont les suivants : "déficience intellectuelle", "retard mental", "déficience mentale", "handicap mental", "retard intellectuel".

Au XIXe siècle, Édouard Séguin proposa la qualification de "idiots" (pour la déficience intellectuelle moyenne et plus grave) et de "imbéciles" (pour la déficience intellectuelle légère). Ce fut une première tentative de terminologie quant aux difficultés d’habileté intellectuelle.

Monique : "Je n’aime pas le terme “handicapée”. Je l’ai beaucoup entendu depuis que je suis petite, je ne l’ai pas bien vécu".

À l’instar de son homologue international People First, le Mouvement Personne d’Abord préconise l’utilisation du mot "personne" et de guillemets pour encadrer toute expression qui vise à décrire les personnes ayant une déficience intellectuelle.

Vanessa : "Les termes "débile mental", "QI inférieur à la normal" sont encore souvent entendus, dans les hôpitaux et ailleurs. Au mouvement, on préfère parler d’une "personne" et s’il faut vraiment le préciser, ajouter "qui présente une déficience intellectuelle". C’est moins stigmatisant."

L’objectif est d’aider à prendre conscience que ces dernières sont des personnes avant tout et que toute définition supplémentaire est vécue comme une étiquette. "Et les étiquettes, c’est pour les pots de confiture !" ajoute Monique, slogan issu de leur dernière campagne de sensibilisation.



INTERVIEWS
QUELS SONT LES DROITS, LUTTES, BESOINS QUE VOUS SOUHAITEZ PARTICULIÈREMENT METTRE EN ÉVIDENCE?
Les membres du Mouvement Personne d’Abord répondent !



"Quand on me dit "non", ça nourrit mon envie de dépasser la limite."

Vanessa

Je défends le droit de vivre comme une personne à part entière ! Par exemple, j’ai traversé un parcours assez chaotique quand j’ai souhaité me marier. Je me suis battue pendant deux ans avec des avocats pour qui c’était perdu d’avance. Nous sommes sous administration de biens, pas de la personne, ça n’aurait donc pas dû être un problème. (NDLR : la mise sous administration consiste à ce qu’un juge de paix désigne un administrateur de biens chargé de prendre les décisions nécessaires pour protéger votre personne et/ou vos biens.)

Nous avons fait des recours pour faire sauter la procédure qui tentait de mettre mon futur mari en administration de la personne. Le juge a compris que j’avais besoin que l’on soit à mon écoute. Ça n’a pas été facile.

On n’a pas le droit d’être vulnérables. Il faut toujours prouver qu’on est capables, toujours se justifier. Quand on me dit "non", ça nourrit mon envie de dépasser la limite.

Une déficience n’est pas l’autre, il y a les déficiences visuelles, intellectuelles, motrices, atypiques, comme l’autisme. Il y a beaucoup de facettes à ne pas négliger, il faut faire au cas par cas.



"Les institutions de santé mentale, c’est ton bourreau et ton sauveur." 

Caroline

La déficience intellectuelle est encore considérée comme quelque chose de figé. Or, il est prouvé scientifiquement qu’une situation de handicap évolue avec l’environnement. C’est aussi ce qu’on défend. L’environnement peut être un cercle vicieux comme vertueux. Dans le rapport aux institutions de santé mentale, il y a aussi cette relation, c’est à la fois ton bourreau et ton sauveur. Il peut y avoir une envie d’émancipation et, en parallèle une grande peur de quitter ce qu’on connaît, car on ne sait pas ou plus qui on est sans.

Ce que l’on dénonce aussi, c’est cette ségrégation des personnes, cette mise à l’écart de la société. Les gens ayant une déficience intellectuelle vont dans des écoles spécialisées, des entreprises de travail adapté, on peut aller en institution, rester en famille, ou dans des appartements supervisés… Les cases sont minuscules et très peu de gens s’y retrouvent. Ce sont des voies de garage en permanence.

Ce qu’on veut, c’est changer les mentalités vis-à-vis de la déficience intellectuelle, et ce, dès le plus jeune âge.



"Quand j’ai voulu un enfant, on m’a dit que je serai incapable de l’élever." 

Monique

Quand j’ai voulu avoir un enfant, on m’a dit que je ne serais pas capable de l’élever. Quand ma fille est née, mes parents ont voulu la prendre. J’ai appris à l’hôpital comment la laver, comment prendre soin d’elle. Elle a 30 ans aujourd’hui. Après cette grossesse, on m’a emmenée chez le gynécologue, on m’a endormie, personne ne m’a expliqué ce qu’on allait me faire.

J’ai compris après qu’on avait mis des clips sur mes trompes et que je n’aurais plus jamais de bébé. Le droit de décider d’avoir un enfant, c’est important.

Vanessa ajoute : "je suis dans un parcours PMA (NDLR : procréation médicalement assistée), je subis des jugements à tout bout de champ, sur ma déficience, mon poids, l’âge de mon mari… J’ai longtemps été sous implant contraceptif, on a voulu me le remettre, mais je ne me suis pas laissé faire, c’est important d’avoir le consentement des femmes !" 



"Avoir la vie de monsieur et madame tout le monde…"

Xavier

Vivre en autonomie dans un appartement, c’est ce que je fais actuellement. Je ne suis pas sous gestionnaire de biens, je vis seul, je paie mon loyer, je travaille.

Gérer son propre argent, sans avocat, c’est avoir la vie de monsieur et madame tout le monde. C’est ce que j’ai toujours voulu et je voudrais que ce soit possible pour plus de gens, si c’est leur souhait.

Je pense qu’on devrait apprendre aux futures générations qui ont une déficience intellectuelle à gérer leur propre argent. Et puis, si ça ne marche pas, ou si ça ne convient pas, dans un second temps seulement, passer par un administrateur de biens. On devrait prendre le temps d’aider tout le monde.



PODCAST
"UN REGARD AUTREMENT" 

Faire de la radio, c’est le rêve du Mouvement Personne d’Abord. Rêve d’être reconnu ·es, d’être visibles, d’être entendu ·es et compris·es dans leurs réalités compliquées, mais tellement riches. Ainsi est née « Pep’s radio ».



Le premier épisode, Un regard autrement, est désormais disponible. Dans ce podcast, vous allez découvrir la réalité vécue par les membres, mais aussi le coeur de leur travail : l’autodétermination, l’autoreprésentation et l’autodéfense des droits.

Pour réaliser cette émission, l’équipe a récolté des sons pendant plusieurs mois. Elle a enregistré ses réunions, son assemblée générale, ses conseils d’administration. Chacun·e a préparé des questions pour des interviews.

Il a fallu construire ses témoignages et apprivoiser le micro, le matériel d’enregistrement.

Une fois la récolte terminée a commencé le long périple du montage, ou comme le mouvement l’appelle : son puzzle !

Des passages de chaque enregistrement ont été sélectionnés, puis assemblés pour créer une émission fluide et accessible à toustes, augmentée de sons de mer, de vent, de vagues… comme un mouvement permanent.

Pour écouter ce documentaire sonore, suivez ce lien.

Source : Campagne sur la déficience intellectuelle, Mouvement Personne d’Abord.