Au mois de février, le Centre culturel de Dison proposera un cycle d’activités intitulé "Chaleur humaine". Lancé en janvier 2021 au moment de la flambée des prix de l’énergie, ce focus était une réplique instinctive à un climat oppressant, une envie de souffler le chaud sans oublier le froid.

Cette nouvelle édition de "Chaleur humaine" aura pour fil rouge le logement. En deux occasions plus spécifiques, lors d’un black out café et d’un atelier créatif parent / enfant, nous explorerons la thématique du chez soi, entre rêveries et remises en question sur ce qui entrave l’accès à un logement digne.

Parler du statut de cohabitant ·e est en prise directe avec ces difficultés. En effet, ce statut concerne 584 000 personnes en Belgique (chômage, GRAPA, revenu d’intégration sociale, invalidité, personnes handicapées) dont 155 500 chômeur·euses. Il est considéré comme discriminatoire par une vingtaine d’organisations réunies au sein de la plateforme "Stop au statut de cohabitant·e".


Dans l’arrondissement verviétois, la régionale Présence et action culturelles (PAC), le Centre d’information et d’éducation populaire (CIEP), le Mouvement ouvrier chrétien (MOC), le Centre régional de Verviers pour l’intégration (CRVI), la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), Lire et écrire, et le Centre d’éducation populaire André Genot (CEPAG) s’associent localement pour réclamer la suppression de ce statut de cohabitant·e en 2024.

Si le terrain semble de plus en plus propice à un changement dans la législation et les mentalités, le combat reste entier.

Interview
"Le statut de cohabitant·e empoisonne la vie des Belges depuis 40 ans"
Pierre Vangilbergen, Responsable de la communication et des campagnes Présence et action culturelles



Le mouvement PAC mène une campagne contre le statut de cohabitant ·e, quel est ce statut ?

Lorsque deux personnes décident de vivre ensemble, si une des deux ou les deux perçoivent des droits sociaux, l’État estime qu’elles ne doivent pas recevoir le même montant. Un montant diminué sera appliqué, car il est estimé que vivant à deux, les dépenses sont mises en commun. Ce statut est d’application depuis plus de 40 ans, alors qu’à l’époque, il s’agissait d’une mesure temporaire, qui visait à faire diminuer les chiffres du chômage. Il a été créé dans une vision de la société encore plus patriarcale qu’aujourd’hui, où les femmes n’avaient pas à travailler et quand bien même elles travaillaient, l’argent gagné était un petit plus au revenu du ménage, on considérait dès lors que ce n’était pas bien grave que leurs droits au chômage soient diminués. On appelait cela le revenu rouge à lèvres, c’est vous dire !

Au vu de l’argent économisé par l’État, cette mesure n’a jamais été supprimée. Et le statut s’est ramifié à d’autres droits sociaux en plus du chômage, elle s’applique aussi au revenu d’intégration sociale, à la garantie de revenus aux personnes âgées… bref à toute une série de systèmes. Cela empoisonne la vie de la population belge !

Existe-t-il des équivalents de ce système ailleurs qu’en Belgique ?

Non, ni en France ni dans les autres pays limitrophes, c’est une exception belge !

Ce statut semble donc en décalage avec les nouvelles formes d’habitat…

Cela engendre un système profondément inégalitaire et dépassé, qui perpétue une vision de la société où le schéma traditionnel était papa, maman et les enfants. Papa va travailler et maman reste à la maison. Aujourd’hui, c’est différent, il y a des familles recomposées, des habitats intergénérationnels, il arrive d’accueillir des parents malades, on pratique la colocation… Nous habitons de façon tout à fait différente.

Vous militez pour la suppression pure et simple du statut et pour une individualisation des droits.

Nous souhaitons que tout le monde passe en statut isolé, avec une attention particulière aux personnes à charge de familles, qui auraient droit à un supplément. En Belgique, un ménage sur dix est monoparental, et plus de 80 % des chef·fes de familles monoparentales sont des femmes. Le statut de cohabitant·e a déjà très lourdement pénalisé les femmes pendant 40 ans, il ne faudrait donc pas que ce pour quoi nous militons les pénalise davantage !



Comment PAC s’est-il lancé dans cette campagne ?

La question de la Sécurité sociale est un fil rouge dans notre mouvement. En tant que mouvement d’éducation permanente, informer et conscientiser la société civile et politique sur ces questions fait partie de nos missions. Nous avons commencé la campagne en novembre 2022, il faut savoir qu’il y a d’autres associations, comme le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, qui lutte contre le statut de cohabitant ·e depuis de nombreuses années. Les mouvements féministes se sont également emparés du combat dès le départ.

Ces combats ont eu des intensités différentes et la volonté actuelle était de coaliser un maximum d’associations, d’organismes, de mutuelles, de syndicats… tout groupe, toute personne, peut faire masse et faire pression en se rendant sur le site stop-statut- cohabitant.be. Actuellement, nous comptabilisons sur ce site près de 4 400 personnes et organisations qui sont mobilisées pour la suppression du statut. Les élections 2024 se profilent à l’horizon et notre objectif est que le statut de cohabitant ·e soit sur la table des négociations au niveau fédéral.

J’imagine que vos positions divisent au niveau politique ? Car cette suppression aurait un coût conséquent pour l’État ?

En mars 2023, il y a eu une demande à la Cour des comptes du Parlement fédéral pour calculer le coût réel du statut. Des chiffres existaient, mais ils dataient de près de 10 ans, il était donc nécessaire d’actualiser ces données. À l’époque, nous étions aux alentours des 10 milliards pour la suppression du statut. La Cour des comptes la chiffre aujourd’hui à 1,86 milliard, ce qui nous place bien loin du montant initial annoncé. C’est beaucoup plus à portée de main.

Le second pas politique en ce sens a été les deux journées d’auditions au parlement fédéral. Elles ont été menées dans le but de nourrir la réflexion des député ·es. Des représentant·es de la plateforme stop-statut-cohabitant. be, du secteur académique, des syndicats, des mutuelles ont témoigné et se sont prononcés sur cette mesure. Nous avons senti au niveau politique une reconnaissance de la nécessité de supprimer· le statut ou tout du moins de l’adapter. C’est la position de tous les partis politiques, à l’exception du MR, pour qui il est hors de question de parler du statut tant qu’on ne revoit pas en profondeur la question de la Sécurité sociale.

Avez-vous le sentiment que c’est en bonne voie ?

Je pense que le combat n’a jamais été aussi loin, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut baisser les bras et se dire que l’on a gagné, c’est maintenant qu’il faut mettre le paquet pour que les politiques s’en emparent. C’est quitte ou double, tant que ce n’est pas dans l’accord de gouvernement, rien ne changera.

→ Rendez-vous sur le site stop-statut-cohabitant.be pour faire partie des signataires / Facebook/stopstatutcohabitant


TÉMOIGNAGES

Bernard
"Mon épouse est au chômage suite à l’arrêt de son activité d’indépendante pour raison de santé. Pour ma part, je suis pensionné. Mon épouse touche le chômage de co-habitante (785 €) et moi, parce que mon épouse a ce revenu, on a diminué ma pension de plus ou moins 500 €. Donc le fait de notre cohabitation (nous sommes mariés) entraîne une double pénalité." 

Éric
"J’espère que l’on va pouvoir stopper le statut de cohabitant, cela isole les gens, ça les empêche de vivre ensemble, à l’heure où il manque des logements, et où l’on demande à la population de faire des efforts de consommation d’énergie. Aujourd’hui, vivre seul, c’est à coup sûr se retrouver dans les dettes, les revenus salaires et indemnités sociales ne permettent plus de faire face à des charges individuelles." 

Axel
"Donner le statut isolé permettrait de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et de ne pas avoir peur de vivre avec quelqu’un. Et d’avoir une meilleure entraide pour le futur. Se nourrir et nous permettre de trouver notre voie sans se lancer sur le premier travail, car on a besoin d’argent. Et pouvoir trouver le métier qui nous plaît." 

Jean-Sébastien
"Je vis en colocation avec une amie. Depuis janvier 2023, elle est sous mutuelle, car elle est tombée en burn-out. Comme nous vivons dans le même appartement, nous sommes considérés comme cohabitants, pourtant, c’est une colocation. Avec le statut cohabitant, elle ne touche plus que 1200 € par mois et en janvier 2024, plus que 800 €. Je dois donc assumer beaucoup plus les factures, mais mon salaire ne va pas suffire. Je ne peux pas tout payer. De plus, nous avons pris cette colocation, car les prix des loyers sont élevés et que ça nous permettait de préparer l’avenir. On a essayé de faire comprendre tout cela, la mutuelle et la police se renvoient la balle et nous demandent que tout soit séparé, les compteurs électriques, internet, salle de bain, etc. Dans ce cas, ce n’est plus une colocation, mais deux appartements distincts. C’est incompréhensible ! Si cela continue, on ne pourra plus rester." 

Myriam
"Depuis le mois de juillet dernier, mon fils est revenu chez moi. Étant malheureusement demandeuse d’emploi (59 ans) et déficiente auditive, j’éprouve de grosses difficultés à retrouver un emploi. Mon fils a commencé sa vie professionnelle et dès lors, pour les périodes où il travaille, nous passons au statut de cohabitant. Mon fils travaille en intérim ou dans des emplois mal rémunérés et moi, je gagne seulement 1000 euros/mois. Pourquoi un jeune qui doit encore construire son avenir est-il considéré comme cohabitant alors qu’on sait très bien que sans un CDI depuis plusieurs mois, il ne peut pas trouver de logement et doit donc rester auprès de l’un de ses parents ?"

Extraits issus de la plateforme stop-statut-cohabitant.