L’hiver est arrivé. C’est un hiver qui fera certainement date au vu des craintes qu’il suscite chez l’ensemble de la population.

La hausse des prix, la saturation du système, tout cela semble relever de l’exceptionnel, du cas isolé, explicable par une conjugaison de facteurs tels que les enjeux géopolitiques et l’invasion russe de l’Ukraine, la demande élevée de gaz au niveau mondial par rapport à l’offre suite à la relance économique post covid-19, ou encore le retard de L’Union européenne et des différents États pour lancer des mesures limitant le prix du gaz pour les consommateur·trices.

Pour toute une frange de la population, il s’agira de faire attention à ne pas laisser ses appareils sur secteur, à mettre un boudin sous la porte, à limiter le temps de chauffage, à faire le dos rond, en attendant, en espérant que cela passe.

Pour une autre, cela aura un goût de déjà vu, mais avec des impacts plus profonds, cela sera s’abstenir de consommer de l’énergie, parfois jusqu’à l’insupportable, ce sera peut-être aussi fermer son commerce, sa petite entreprise, qui ne peut plus connaître les crises.

L’être humain est capable de faire face aux mutations profondes qui secouent les habitudes, pour en créer de nouvelles, mais jusqu’à quel point ? Où se situe la frontière entre s’adapter et brader ses droits élémentaires ? Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) dont l’interview complète est à lire ci-après, explique : "Je ne suis pas de celles qui disent qu’il faut regarder la disette des pauvres, car c’est un modèle qui nous fait entrer dans la sous-consommation indispensable. Il faut permettre à tout le monde d’être à un seuil de dignité." Au Centre culturel de Dison, nous accueillerons l’hiver avec un focus aux modestes ambitions, taillé pour produire des énergies renouvelables à petites échelles. "Chaleur humaine" se déclinera début février en quatre rendez-vous. Le programme est à découvrir en fin d'article.





Interview
"L’énergie doit être considérée comme un bien de première nécessité."



Christine Mahy est secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. C’est aussi une militante de terrain bien connue, engagée en faveur d’une société plus collective. La précarité, elle la côtoie tous les jours ; elle défend, sans mâcher ses mots, les plus mal loti·es du pays.

"Je n’ai pas un temps infini", nous dit-elle avant de commencer cet entretien, ce que nous n’avons pas de peine à imaginer. Toutefois, l’ardeur qu’on lui connaît fait rapidement surface. Christine Mahy pointe les failles de notre société sans montrer du doigt, avec dans le viseur toujours une perspective de nivellement par le haut dans l’accès aux droits fondamentaux.

Présence: Comment pourrait-on définir la précarité énergétique ?

Christine Mahy: La définition peut être étroite ou assez large. La définir de façon étroite, c’est le fait d’avoir des difficultés à payer ses factures de consommation d’électricité, de gaz, de mazout, de pétrole… Au point de devoir morceler ses factures, ou acheter en petites quantités et ne pas avoir accès à certaines aides de l’État, qui exige la commande d’un certain nombre de mètres cubes.

Pour certaines personnes, cela conduira à demander de l’aide au CPAS, c’est une démarche lourde, exigeante qui peut provoquer un sentiment de honte, une espèce de soumission à devoir tendre la main pour un bien de première nécessité.

Et pour celles et ceux qui ne sont pas dans les conditions pour avoir cette aide du CPAS, c’est potentiellement se retrouver dans une spirale faite de non-paiements et de coupures, de compteurs à budgets, de ne pas savoir comment et où trouver les bonnes informations. L’autre facette qui est complémentaire à la première, c’est l’autoprivation de consommation, l’autocoupure. Cette réalité préexistait à la crise énergétique et se renforce actuellement, les gens sous-consomment encore plus qu’avant, ne chauffent pas le logement, éclairent au minimum, rechargent les GSM dans les transports, n’entretiennent pas leurs chaudières, ou ne mangent plus de repas chauds tous les jours pour éviter l’utilisation des taques électriques. La précarité énergétique, c’est tout cela, c’est essayer de trouver des trucs et ficelles pour tenir bon.

Quelles en sont les conséquences ?

Une conséquence de cette précarité, c’est notamment sur le logement lui-même, ne pas chauffer peut provoquer des dégâts d’humidité, les locataires de ces logements peuvent se voir reprocher de ne pas avoir géré correctement le bien. Cela a aussi évidemment des impacts sur la santé, sur le climat familial…

Dans une autre interview, vous disiez justement que le logement est un enjeu majeur, car beaucoup de violences économiques se jouent là.

C’est totalement ça. Les violences économiques s’accroissent, le lien entre énergie et qualité du logement est gros comme le nez au milieu du visage, on le savait déjà, mais aujourd’hui on en perçoit les incidences immédiates. Vivre dans ce qu’on appelle une "passoire énergétique", c’est-à-dire un logement où il y a beaucoup d’humidité, qui est orienté quasi totalement au nord, qui n’a pas de châssis correct… c’est aussi de la précarité énergétique.

Les gens avec peu de revenus sont contraints d’aller vers ce type de logements, qui sont les moins chers, même si trop chers pour la qualité qu’ils offrent, que ce soit en termes de localisation, de grandeur, de confort, etc.

Au sein du RWLP, nous sommes en train d’impulser l’idée d’un pacte logement énergie, qui consiste à dire qu’on ne peut plus jamais penser logement sans penser enveloppe énergétique. Le but est d’arriver à ce que ça ne soit pas les maigres revenus qui continuent à payer cher et vilain, même lorsque cette crise sera dépassée… et on peut se demander quand elle le sera.

Si on veut combattre cette précarité énergétique, il faut absolument travailler sur la qualité du logement, agir de façon préventive. La digitalisation accélérée qui se matérialise avec le télétravail, avec des services tant privés que publics qui ne fonctionnent plus que sur rendez-vous, le manque de contacts humains, le formatage des questionnaires sur le web… sont des facteurs aggravants. Le cumul de tout cela peut conduire des personnes à perdre pied dans l’accès à leurs droits, ou dans leur capacité à négocier avec des fournisseurs par exemple.

Dans une précédente interview, vous aviez évoqué également le syndrome de l’habituation, c’est-à-dire le fait d’intégrer dans notre organisation sociale que certaines situations sont normales, notamment au niveau du droit à l’alimentation, qu’en est-il au niveau des énergies ?

L’habituation est un phénomène compréhensible, aussi dramatique soit-il. C’est un moyen de défense, une façon de se dire que l’on peut finalement bien se passer de certaines choses.

Une personne m’a dit récemment qu’il connaissait quelqu’un qui a été habitué depuis l’enfance à prendre des douches froides. Son postulat était de dire que si on apprenait cela dès le plus jeune âge, ce serait déjà un problème en moins. Peut-être doit-on reculer sur nos façons de consommer, mais se laver à l’eau froide dans une maison tout confort n’est pas au même plan que pour des personnes qui vivent dans des maisons froides, où l’on se lave à l’eau froide depuis des années. Ce n’est pas un choix, c’est de l’usure.

Alors oui, nous avons des militant·es qui nous disent, "il faut que j’apprenne à vivre dans le froid", qui ont envie d’entrer dans une sorte de discours vertueux du "mieux pour la planète et pour le portefeuille", mais les proportions et les conséquences ne sont pas les mêmes dans tous les foyers.

Le fait que des personnes puissent continuer de payer malgré tout invisibilise-t-il celles et ceux pour qui c’était déjà impossible de payer avant ?

La problématique de l’accès à l’énergie se répand désormais dans la classe moyenne, où on sait encore payer, où on a de l’épargne qui est en train d’être dilapidée pour combler les manques. Mais ces personnes-là s’appauvrissent aussi.

Il y a des gens dans la société qui doivent en effet réduire leur consommation, quand certain·es devraient pouvoir l’augmenter sans être encombrés par l’endettement. Il faut continuer à le dire, car sinon nous risquons d’enterrer définitivement les personnes dans le sous-droit permanent, elles vont tout simplement être oubliées.



Quelles solutions globales permettraient de consommer moins d’énergie ? L’État est-il en mesure d’enrayer le processus d’appauvrissement énergétique ?

Je ne dis pas que c’est une volonté politique, je pense qu’il y a un manque d’outils pour travailler en ce sens. La vision qui consiste à dire que c’est toujours le riche qui paie pour le pauvre est éculée, si on ne va pas vers un pacte énergie logement qui réduit ces écarts, notre argent collectif est juste jeté par les fenêtres.

L’argent qui est donné aux ménages sert à payer un petit bout de facture, il n’est pas investi dans du structurel positif. C’est un mauvais calcul pour l’État, les gens vont déménager à répétition, vont être davantage malades avec un impact sur la sécurité sociale… et puis il y a le risque démocratique engendré par la mise en concurrence des gens envers les autres. Cela agit sur notre manière de percevoir une société solidaire. Certaines décisions se prennent, mais on a tellement de retard à rattraper.

Le politique a-t-il perdu le pouvoir sur la gestion de l’énergie à cause de la privatisation ?

En effet, on a malheureusement la démonstration de la perte de pouvoir quasi totale de l’autorité politique sur l’énergie. La libéralisation a donné les cartes aux mains du marché et de la concurrence. Au niveau européen, il y a un rapport de force très compliqué à établir pour aller vers une inversion. Il faudrait absolument avoir au moins une filière publique en matière énergétique.

La position du RWLP est qu’il est indispensable de sortir l’énergie des ménages du marché, qu’elle soit considérée comme un bien de première nécessité accessible à tou·tes. C’est aussi ce que nous pensons du logement. Je ne dis pas qu’il ne peut pas y avoir de biens privés qui se vendent et qui s’achètent, mais le logement ne devrait pas, et n’aurait jamais dû être un objet de spéculation. Pour l’ensemble des partis politiques, cette vision critique de la libéralisation reste assez controversée. L’État doit pourtant reprendre de l’importance par rapport aux dynamiques privées.

Vous dites que la lutte pour le climat, pour l’énergie, contre la pauvreté n’iront pas l’une sans l’autre, pourquoi ?

Si on veut sauver l’humain sur la planète, nous sommes obligés d’agir vite et agir vite, c’est rétropédaler sur toute une série de choses en termes de consommations et d’abus de pouvoir sur les biens communs. Il faut se battre de façon macro. Si ces combats ne sont pas menés en se demandant qui sont les premières victimes de toute cette évolution dégradée au niveau climatique et social, on aura toujours plus de personnes laissées à l’abandon dans une pauvreté aggravée et croissante.

On a tendance à considérer les populations précaires comme une population à éduquer aux bons comportements de consommation, comment changer les regards ?

Nos militant·es sont conscient·es des problématiques liées au climat, pas à 100 %, mais de la même manière que dans la population en général. Entre être conscient·e de ces enjeux et devoir faire les efforts nécessaires dans un logement qui est déjà une passoire énergétique, en étant déjà dans la sous-consommation, ce n’est pas entendable.

Lorsque le pouvoir public se replie sur la réponse éducationnelle face à des enjeux comme ceux-ci, c’est en général parce qu’il ne sait pas, ne veut pas, ou une combinaison des deux, investir pour garantir le droit. Garantissons d’abord le droit et puis en effet, communiquons, ayons de l’information collectée, mais dans tous les milieux. Sinon, cela s’appelle de la violence.

On avertit toujours plus une certaine catégorie de la population sur ce qu’il serait souhaitable qu’elle fasse sans mettre en place les conditions pour y accéder. C’est ce qu’on appelle aussi des injonctions paradoxales, c’est ce qui crée la scission entre l’autorité et les gens. Quand on leur dit, "diminuez le chauffage à 19 degrés", "mettez une écharpe", c’est insupportable.

Cette précarité énergétique se déploie aussi dans cette violence-là, tant que l’autorité ne changera pas de paradigme, en orientant les politiques publiques vers des investissements de rénovation à caractère collectif et en commençant par les milieux les plus mal-logés, on ne s’en sortira pas.

Ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire ailleurs, mais en tout cas de façon proportionnelle à l’urgence. Il faut des choix orientés qui intègrent la réduction des inégalités. Sortir par exemple des primes individuelles qui demandent du préfinancement et qui sont de toute façon toujours plus facilement captées par des personnes aisées.



Événement
Chaleur humaine

Chaleur humaine, c’est une modeste résistance à un hiver qui crispe, isole et f(r)acture. Une invitation à faire le plein des sens.

Lecture | De 4 à 8 ans
Heure du conte
Me 1.02.23 | 16h > 17h
Bibliothèque Pivot / Gratuit
Inscription obligatoire : 087 33 45 09 Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Black Out café
Conférence à la bougie : Crise énergétique, où en sommes-nous ?
Je 2.02.23 | 19h30
CC Dison / Gratuit

Danse
Bal folk
Ve 3.02.23 | 20h
CC Dison / Gratuit

Ciné doux-doux | De 6 à 12 ans
Nocturna, la nuit magique
De Andria Garcia et Victor Maldonado
Di 5.0223 | 14h > 16h30
CC Dison / 1 € + votre coussin préféré !