Dans nos sociétés, l’emploi demeure un des principaux vecteurs d’intégration et de socialisation, d’émancipation et de confiance en soi.

Pourquoi je ne trouve pas d’emploi? Cette question lancinante a déjà traversé l’esprit de toutes les personnes qui se sont retrouvées, à un moment donné, sur le marché de l’emploi. Est-ce ma faute? Suis-je assez qualifié·e? Ai-je les compétences requises? Suis-je assez convaincant·e, crédible, vendable?

Le chômage, c’est-à-dire le non-emploi, véhicule une négation de l’identité de l’individu: dans le discours public, le·la chômeur·euse est, le plus souvent, réduit·e à un chiffre, à une statistique dans un obscur tableau.

Ces chiffres, pourtant préoccupants, sont ensuite minimisés, aplatis… réduits à une question de choix personnel : quand on veut, on peut.

Cette réduction des individus aux chiffres entraîne la négation, dans le discours public dominant, de la dimension structurelle du chômage.


Le fait de parler uniquement de hausse ou de baisse du taux de chômage entraîne un braquage des projecteurs sur le·la chômeur·euse et non sur le contexte socio-économique (1).

Les contrats précaires et mal payés, les activités nocives pour l’environnement et les bullshit jobs se multiplient dangereusement.

Résultat? La pression pour accepter l’inacceptable pèse sur les épaules de celles et ceux qui n’ont pas d’emploi. Et beaucoup qui en ont un, craignant de se retrouver au chômage, acceptent des conditions de travail et d’emploi revues à la baisse.

Parallèlement, une énorme quantité de travail doit être mobilisée pour réparer les catastrophes du confinement et des inondations de l’été 2021, et plus généralement pour préparer l’avenir. Les accords de majorité wallons et bruxellois entendent répondre à ces défis à travers un projet expérimental et local : les Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD). En bref, il s’agit de proposer un CDI à toutes les personnes privées durablement d’emploi, sur base de leurs compétences et des besoins du territoire identifiés avec l’ensemble de ses forces vives. L’expérimentation est en cours depuis 2017 en France sur dix territoires et les résultats sont encourageants (2).

(1) Extraits: Étude annuelle de la Mission locale pour l’emploi de Saint-Gilles Pourquoi je ne trouve pas de travail?, 2017. 
(2) Extraits: Carte blanche Le projet Territoires zéro chômeur n’est pas suffisamment soutenu, décembre 2021. 



Une idée simple mais originale et percutante

L’initiative française de "Territoire zéro chômeur de longue durée" (TZCLD) marque le paysage de l’insertion socioprofessionnelle tant elle est en rupture avec les pratiques habituelles de formation ou d’insertion par l’activité économique. Au lieu de prendre en charge les coûts directs et indirects du chômage de longue durée, ses conséquences sociales et sanitaires, l’État peut utiliser ces moyens pour offrir de vrais contrats de travail à durée indéterminée et répondre à des besoins du territoire non couverts par l’économie locale, sans entrer en concurrence avec les entreprises.

Extraits – Analyse Territoire zéro chômeur de longue durée: bien plus que de l’emploi ! Saw-B ASBL (Solidarité des Alternatives Wallonnes et Bruxelloises), 2018.


Interview
"Territoire zéro chômeur est un projet innovant"
Alexandre Greimers, conseiller économique à Step Entreprendre.



En quoi consiste le projet Territoire zéro chômeur?

C’est un appel à projet européen auquel le Relais social urbain de Verviers a répondu avec l’appui de nombreux partenaires locaux, dont les communes de Dison et de Verviers. Il permet l’octroi d’un subside pour développer sur 6 ans des initiatives innovantes autour des personnes durablement éloignées de l’emploi. Cette opération s’inspire d’un projet déjà mené en France. Nous saurons à la fin de l’année 2022 si notre dossier a été accepté.

Quels sont les constats qui vous ont poussé à répondre à cet appel à subside?

Le taux de chômage est important sur ce territoire. Dison est par ailleurs l’une des communes les plus pauvres de Wallonie. La zone a également été touchée par les inondations de juillet 2021. On constate donc une situation sociale difficile avec une grande partie de la population qui se retrouve éloignée du marché de l’emploi.

Comment se présente le modèle français du projet?

L’idée est d’avoir un ensemble de personnes issues du territoire concerné, qui implique des acteurs politiques, associatifs, des commerçants, des entreprises, des habitants, des demandeurs d’emploi… qui se réunissent autour de ce qu’on appelle un comité local pour l’emploi. Ce comité a pour mission de contacter les gens privés durablement d’emploi et d’identifier leurs compétences pour ensuite définir les activités qui pourraient être créées sur la zone, des activités qui n’entrent pas en concurrence avec l’offre existante, mais qui viennent plutôt en complémentarité. Sur cette base, des entreprises à but d’emploi sont constituées, elles ont pour mission d’engager les personnes pour des activités qui sont utiles à la collectivité. Cela peut être du maraîchage, une épicerie solidaire, des ateliers de couture, etc. Avec ce projet, les charges liées à l’emploi sont financées par l’État.

Comment est-il adapté chez nous et quelles sont les retombées espérées?

L’appel à projet belge part sur un financement total par l’Europe d’un peu moins de 100 millions d’euros pour une vingtaine de dossiers sélectionnés. De ce montant, 46 millions sont dévolus aux territoires en transition, dont fait partie notamment la province de Liège. À cela s’ajoute une subvention spécifique régionale pour maximum 50 % du budget. La volonté est que chaque projet permette la création de 50 emplois durables en 2026. Dans son étude de faisabilité, Step Entreprendre vise la création de 10 emplois dès la mi- 2023 ; 35 emplois en 2024 ; 55 en 2025 et 55 en 2026. L’exemple français nous montre que pour que ce projet aboutisse, il faut un bon encadrement, un nombre d’emplois suffisant dans la structure, et surtout se donner les moyens de réussir le montage de l’activité.

À qui s’adresse ce projet?

Sont visées par cette opération les personnes éloignées du marché de l’emploi depuis plus de deux ans. Le financement wallon s’adresse à des territoires de moins de 15 000 habitants, nous n’avons donc pas pu reprendre l’ensemble des communes de Dison et de Verviers. Nous nous sommes concentrés sur les quartiers qui avaient les plus gros besoins, à savoir le centre de Dison, le quartier d’Hodimont et de Pré- Javais à Verviers. Après estimation, cela représente 1850 bénéficiaires potentiels, c’est colossal!

Le terme "zéro chômeur" questionne donc, car comme vous le soulignez, la tâche est immense…

Effectivement, au vu des moyens disponibles et de la demande importante, il est évident qu’on ne pourra pas répondre à tous les besoins. C’est un début, un horizon. Ce projet reste assez innovant et poussé dans le fait d’offrir à chacun la possibilité d’exercer son droit à l’emploi. Si de nouvelles activités se développent sur la zone, si les différents acteurs des deux communes communiquent mieux et plus sur la réalité de l’emploi, si cela permet de mettre en place de nouveaux dispositifs de formations, ce sera déjà un gros plus pour le territoire.

Justement, en quoi "Territoire zéro chômeur" se démarque-t-il des autres propositions pour résoudre le problème du chômage longue durée? Est-ce qu’il marque une réelle rupture avec les pratiques habituelles de formation ou d’insertion?

La force de ce projet, c’est d’abord le partenariat avec des associations qui travaillent déjà sur le terrain. L’objectif est d’arriver à créer une réelle émulation dans les zones visées, pour arriver à des résultats que l’on n’obtient pas avec les dispositifs actuels.



Quelles sont les initiatives envisagées sur nos communes?

Une activité liée à la gestion des déchets qui entre dans une dynamique de ressourcerie (avec de nombreux partenaires: R’CYCL, les 3R, TP Recup, les Châssis Ernst…). L’activité connaîtrait une évolution progressive en démarrant à la mi-2023 par le démontage de "déchets" de menuiserie liés à la construction. En 2024, un service de collecte de meuble et d’électroménagers et de récupération de pièces sanitaires sera lancé. En 2025, la mise en place d’activités de réparation et de revalorisation et la vente de pièces détachées seront lancées.

La seconde filière concerne la réalisation de petits travaux et autres coups de main chez des particuliers (réparations, rafraîchissements, dépannages urgents, petits déménagements…), essentiellement des seniors isolés ou familles en situation de précarité, sises, dans un premier temps, dans les zones récemment sinistrées par les inondations.

On sait que les freins à l’emploi ne se limitent malheureusement pas au manque de postes vacants, la dimension sociale est-elle également prise en compte dans ce plan d’action?

Il est évident que le travail devra avoir du sens pour les travailleurs. Le parcours et les activités devront être coconstruits avec eux, en considérant leurs divers acquis et leurs motivations. La base militante des organisations liées au MOC (Vie féminine, CSC…) nous permet d’envisager la mise en place d’une méthode d’accompagnement basée sur les échanges intergénérationnels entre des passeurs de savoirs pensionnés et le public cible. Il s’agit d’un exemple parmi d’autres, l’objectif étant de mettre en place des solutions qui s’adaptent au profil des personnes et à leurs réalités, pour limiter ces freins (par exemple : garde des enfants, mobilité…).

L’appel à projets du Fonds social européen
- Financement de 46 millions pour les territoires en transition
- Objectif: 20 projets créant chacun 50 emplois
- Public cible: personnes éloignées du marché de l’emploi depuis plus de 2 ans
- Territoires de moins de 15 000 habitants



Le Relais social urbain
Si le projet rassemble une trentaine de partenaires, il est porté par le Relais social urbain. Le Relais Social urbain est "un acteur supracommunal qui travaille sur la lutte contre la pauvreté depuis de nombreuses années et a un côté fédérateur important", indique Alexandre Greimers. Parmi les partenaires impliqués, nous pouvons citer : la Ville de Dison, la Ville de Verviers, les CPAS de Dison et de Verviers, l’ADL de Dison, la MIREV, l’instance Bassin, le CRVI, l’IFAPME, la CSC, la FGTB, Lire et écrire ASBL, les MJ de Hodimont et de Dison, la Belle diversité ASBL, le CIEP Verviers, Alter form ASBL, les ALE de Dison et de Verviers, les 3R, Isocèle ASBL, la Régie de quartier Havre-SAC, l’UCM, Verviers ma ville, le CID ASBL, la ressourcerie RCYCL, SIMA ASBL, FPS Verviers, Télé-service ASBL, le CIEP Verviers, le PCS de Dison… 


Situation de l’emploi sur le territoire
Dison et Verviers sont les deux communes de l’arrondissement qui obtiennent les chiffres les plus élevés dans l’indicateur agrégé. En effet, Dison compte 427 demandeurs d’emploi inoccupés (DEI) depuis plus de 2 ans et Verviers 1 935. Le territoire sélectionné concentre 1 370 ménages bénéficiaires du Revenu d’intégration sociale (RIS) ou de l’aide sociale sur sa partie verviétoise et 417 sur la partie disonaise. Or les freins à l’emploi y sont importants, puisque, sur le territoire disonais, 50 % des DEI n’ont pas le Certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS).
Chiffres: Forem 2022