Le logement constitue assurément l’un des besoins les plus élémentaires pour mener une vie conforme à la dignité humaine. L’article 23 de la Constitution belge le reconnaît et l’affirme : "toute personne a droit à un logement décent".

Et pourtant, l'accès au logement pour tou·tes n'est pas toujours une réalité... Certaines personnes peinent à trouver un logement abordable et décent en raison de leur origine, de leur genre, de leur handicap... Ces personnes sont victimes de discrimination.

Les études menées sur le sujet le montrent, et les personnes qui s’y frottent en témoignent régulièrement : sur le marché du logement privé, la discrimination est pratiquement la norme. Que ce soit par réflexe raciste ou par calcul de "minimisation des risques", les propriétaires bailleurs ont tendance à exclure les immigré·es, les pauvres, les mères célibataires, les allocataires sociaux.

Ces catégories se retrouvent en position d’autant plus précaire et contraintes d’accepter des conditions de logement indignes. La loi condamne dans le texte les discriminations, mais laisse à la discrétion du propriétaire le choix de "son·sa" locataire.

Lorsque le marché permet aux propriétaires de choisir à qui attribuer leurs logements, rien ne peut les empêcher de pratiquer la discrimination.

Un système qui répond à des besoins et non à des moyens

Le logement public n’a plus la cote dans le monde politique. Pourtant, il est la seule mesure politique véritablement sociale en matière de logement. Parce qu’il permet tout à la fois de sortir de la logique du logement-marchandise, d’éviter l’appropriation des subsides publics par quelques-uns, de lutter contre les discriminations au logement et d’assurer la justice sociale.

Le logement public propose des locations à bas prix, à des personnes dont les revenus se situent sous un certain plafond. Alors que ses listes d’attente comptent, dans les trois régions belges, des dizaines de milliers de ménages, le logement public fait figure de parent pauvre de la politique de l’habitat. En 2019, il représente seulement 6 % des logements, et l’évolution du stock est pratiquement au point mort.



Une image à redorer

Les immeubles de logements publics existants datent en majorité des deux périodes d’après-guerre, et les rénovations nécessaires tardent à être réalisées, ce qui explique la dégradation du parc et, en conséquence, la mauvaise image dont jouissent ces logements.

Le manque d’investissements dans les immeubles existants et les difficultés liées à la concentration d’une population précarisée ont terni l’image du logement public en Belgique. Sans vouloir nier les difficultés réelles que rencontrent aujourd’hui les habitant·es, le concept de logement public représente pourtant un choix au potentiel démocratique et progressiste inégalé.

Confier au marché privé la responsabilité de loger la population, laisser primer le logement-marchandise sur le logement comme besoin et comme droit, c’est renoncer, de fait, au droit au logement pour tou·tes. Ce droit n’a de chance d’être garanti que si la politique du logement redonne une place de choix au logement public.

Disposer d’un parc important de logements publics, dont l’attribution dépendrait d’une institution transparente, contrôlée par la collectivité, ne permettrait-il pas de mieux de lutter contre les discriminations et la spéculation financière immobilière?

Source : Observatoire belge des inégalités, Le logement social, une solution (presque) oubliée, Alice Romainville et Sarah De Laet, 16/06/2019.

Interview
"La réalité économique rattrape la réalité sociale"

Rencontre avec Gilbert Schaus, Directeur de Logivesdre, une société de logement de service public qui possède et gère un parc immobilier comptant plus de 3000 logements répartis sur huit communes de l’arrondissement de Verviers à savoir Verviers, Dison, Herve, Spa, Theux, Jalhay et Limbourg. À Dison, cela représente un peu plus de 600 logements.

En arrivant, vous m'avez corrigée sur l'utilisation du terme "logement social", au détriment du "logement public". En quoi cette distinction est-elle importante?

À mon niveau, l’intérêt de passer du logement social au logement public, c’est de faire le distinguo entre une société de logement de service public comme Logivesdre et une structure telle qu’un CPAS. Nous avons souvent été confrontés à ce mélange de genres. Nous ne sommes pas là pour faire de l’urgence. Il y a d’autres outils qui existent au niveau social pour pouvoir répondre à des cas urgents. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de possibilités, mais elles sont encadrées, ce n’est pas notre rôle fondamental. Notre rôle, c’est de mettre des logements à disposition de gens à faibles revenus, non-propriétaires. Pour moi, le terme de logement public constitue une amélioration, parce qu’il y avait trop de confusion.



Question plus philosophique, le logement public ne s’inscrit-il pas comme une remise en question des valeurs individualistes, à la propriété individuelle?

Si on repart à l’origine, le logement social a été créé en 1919, à la sortie de la Première Guerre mondiale, lorsqu’une grande partie de la population s’est retrouvée sans logement. On ne peut donc pas parler d’une remise en cause philosophique. Par contre, le logement public a probablement son rôle à jouer dans la régulation des loyers privés, en essayant justement de ne pas les laisser partir dans des sommets inaccessibles.

Justement, les loyers du logement public restent fixes, dans un contexte où l’immobilier privé est en proie à énormément de spéculations...

Le calcul du loyer se fait sur base des revenus et ne peut pas dépasser 20 % des revenus des ménages. Si on regarde les courbes, on voit que le fossé se creuse de plus en plus, à tel point que nos seuils de rentabilité sont largement dépassés. Le prix de construction d’un logement devient tel que les loyers que nous percevons ne nous permettent plus de couvrir ne serait-ce que les frais d'emprunt.

Y a-t-il des pistes pour atténuer cette situation?

Cela peut paraître choquant, mais je crois qu'il faut retravailler le montant des loyers, car il est trop bas par rapport à la réalité. Le montant est calculé de manière un peu arbitraire. Par exemple, vous avez des logements qui sont très bien isolés, d’autres qui le sont moins, ce qui implique pour une personne de payer plus de charges qu’une autre. À partir de là, ne faudrait-il pas intégrer la notion de charges dans le prix de revient du logement?

Ce sont des données qui doivent être réfléchies, mais à un autre niveau que le nôtre. Cette revalorisation des loyers dans une approche un peu plus pragmatique et réaliste permettrait aux sociétés de retrouver un peu d’air et de réinjecter de l’argent dans leur patrimoine, pour le remettre en état et le maintenir pour le moins.

Le profil des locataires a-t-il évolué?

À sa création, le logement social visait des personnes qui avaient un travail à faible revenu. Actuellement, environ 80 % de nos locataires touchent un revenu de remplacement ou d’intégration. La population que nous rencontrons aujourd’hui s’appauvrit de manière constante et depuis de trop nombreuses années. En parallèle, l’ensemble des coûts auxquels nous sommes confrontés ne fait qu’augmenter. Cela peut donner lieu à des situations aberrantes, où l’on se retrouve avec des charges de chauffage ou d’électricité qui sont pratiquement supérieures au montant du loyer exigé.

Le terme de mixité sociale est souvent utilisé dans la politique au logement, comment l’appréhendez-vous? Comment cet enjeu de cohésion sociale peut-il être rencontré concrètement ?

La législation actuelle à laquelle nous sommes astreints privilégie les ménages les plus démunis. Avec 1500 demandes en attente, à chaque fois qu’un logement se libère, il est donné à des locataires qui rencontrent le plus de difficultés. Il y a des quotas qui permettent d’intégrer un certain nombre de cas de revenus un peu plus élevés, pour essayer de compenser, mais c’est très limité. De plus, on trouve de moins en moins ce type de candidats, les gens se disent qu’ils n’ont aucune chance.

Cette mixité se rencontre difficilement au niveau des candidats, mais la concentration des logements publics dans l’hypercentre n’impacte-t-elle pas également cet enjeu de mixité sociale?

C’est un débat plus urbanistique. Effectivement, à l’heure actuelle, personnellement, et je pense que c’est aussi l’optique de la Région, on ne privilégierait plus du tout cette concentration de logements publics sur une petite parcelle, comme c’était le cas il y a 20 ans d’ici. La meilleure chose que l’on puisse faire, c’est de mixer les populations, autrement, on ne fait qu’augmenter les difficultés.

Le logement public en Belgique souffre-t-il d’une image négative?

Logivesdre a un chiffre d’affaires d’environ 15 millions/an, avec 60 personnes employées, des investissements prévus à hauteur de 40 millions d’euros dans les 5 ans. Et pourtant, d’un point de vue économique, nous n’existons quasi pas, on nous perçoit encore comme des demandeurs de charité. Je voudrais pouvoir être un jour reconnu comme un acteur économique cohérent. Je pense que cela nous aiderait à être mieux entendus et peut-être moins critiqués. Le logement public doit redevenir un élément fondamental de la vie économique.

J'entends les pouvoirs publics et politiques dire que le logement est une des premières choses d’importance à chaque constitution de gouvernement. Malheureusement, après 30 ans passés dans le métier, je ne vois pas de grandes évolutions. On calcule toujours les loyers de la même manière qu’il y a 20 ans, alors que tout a changé, économiquement, mais aussi sociologiquement, psychologiquement... Des choix politiques doivent être pris, au niveau budgétaire notamment, pour compenser cette augmentation des coûts. Car la réalité économique rattrape la réalité sociale, elle la dépasse même. Et tout le monde a le droit d’avoir une vie digne, correcte.

Comment les inondations du mois de juillet ont-elles impacté votre parc immobilier? Comment la situation évolue-t-elle?

Nous avons eu 256 logements sinistrés, nous avons pu trouver des solutions de relogement pour 109 de nos locataires, une partie a aussi pu se reloger par ses propres moyens. Compte tenu de la situation, le gouvernement wallon nous a exonérés d’un certain nombre de règles. Avec les subsides reçus, l’objectif est maintenant de retaper un maximum de logements et de pouvoir aussi en mettre à disposition des communes sinistrées, pour d’autres personnes qui en auraient besoin.


Définition

Le concept de "mixité sociale" dans la politique du logement désigne le "mélange" d’habitant·es à l’intérieur d’un territoire géographique bien délimité, qu’il s’agisse d’un pays, d’une région, d’une ville, d’un quartier ou d’un complexe d’habitations. Il s’agit de mêler des personnes qui diffèrent par :

‒ la classe sociale ou le statut socio-économique ;
‒  l’origine ethnique ou le bagage culturel ;
‒  la phase de l’existence dans laquelle elles se trouvent (par exemple, jeunes et vieux) ;
‒  le profil familial ou le type de ménage.

Source: D. Johnston, 2002