La boule au ventre avant le début d’une nouvelle année scolaire, on en a tou·tes fait l’expérience au moins une fois dans nos vies. Malheureusement, pour environ 100 000 personnes en Belgique, cette appréhension prend la forme d’un véritable calvaire...




Illustré par deux projets vidéo portés par des jeunes, Présence tente de décrypter le harcèlement scolaire, un phénomène bien trop souvent passé sous silence, car difficile à identifier.

Le harcèlement, c’est quoi?

En Fédération Wallonie‐Bruxelles, un élève sur 3 est victime de harcèlement. Le phénomène est sournois, invisible même, car c’est souvent en silence que souffre celui ou celle qui le subit.

Ce harcèlement peut prendre des formes diverses : verbales (insultes, moqueries, rumeurs...), corporelles (coups, pincements...), matérielles (vols, racket...), relationnelles (rejet, exclusion...), numériques (cyberharcèlement).

La plupart des actes de harcèlement impliquent trois sortes "d’acteurs·trices" : harceleur·euse(s), victime(s) et témoin(s), qui encouragent le harceleur par leurs rires, leur simple présence ou leur passivité.Le harcèlement peut commencer très tôt, dès la maternelle. Mais ce sont les 9-14 ans qui se distinguent par leur violence. Et c’est durant la première et la deuxième secondaires que les risques de school bullying sont les plus grands. Pourquoi ? Les adultes sont moins présents que durant les primaires et régulent moins les relations entre élèves. Par ailleurs, c’est au tout début de l’adolescence qu’on a un besoin très fort d’appartenance au groupe. Et le souffre-douleur soude aussi le groupe contre sa différence. 



Une violence comme une autre?

Le harcèlement, quelle que soit sa forme, se différencie des autres formes de violence par trois caractéristiques essentielles:

• l’intention délibérée de nuire même si, la plupart du temps, le harceleur prétend qu’il ne s’agit que d’un jeu, d’une taquinerie;

• la répétition: ce type d’agression a un caractère répétitif et se prolonge dans le temps;

• la disproportion des forces: dans une situation de harcèlement il y a un·e dominant·e et un·e dominé·e qui éprouve des difficultés à se défendre. 

Le rire qui banalise la situation

Une des caractéristiques de la dynamique du harcèlement est "l’instrumentalisation du rire". Elle consiste pour le·la "harceleur·euse" à chercher du soutien auprès des témoins en utilisant des moqueries, des surnoms, de la dérision, des insultes, souvent en ponctuant ses phrases par des mots tels que "c’est pour rire…". Le phénomène d’appartenance au groupe est une piste pour comprendre ce mécanisme.

Dans certaines situations, les adolescent·es ne reconnaissent pas le caractère violent de leurs paroles. Les jeunes, y compris dans certains cas la victime elle-même, minimisent les effets de ces comportements. La limite entre la violence et ce type de "jeu" consenti qui relèverait d’une forme de culture adolescente est ainsi d’autant plus floue et difficile à identifier.



Le harcèlement ne s’arrête plus aux grilles de l’école

Le cyberharcèlement est un nouveau phénomène qui monte en puissance. 

Il désigne toute forme d’utilisation de l’espace numérique (Internet, téléphones portables, réseaux sociaux...) où l’humiliation, la menace, l’insulte, la rumeur, l’utilisation de SMS agressifs ou à connotation sexuelle, la diffusion publique d’images privées... placent la victime dans un état permanent d’insécurité. 

Par Internet, on peut dès lors humilier quelqu’un de façon rapide, groupée et indirecte (sans s’adresser à la victime). Cela a lieu en dehors de l’école. Qui est alors responsable? Cette nouvelle tendance démultiplie dangereusement les possibilités de harcèlement, mais également l’impact dévastateur sur la victime.

Sources:
- Brochure, “Le harcèlement et le cyberharcèlement en milieu scolaire 2.0, l’affaire de tous”, Province de Liège.
www.airdefamilles.be  
www.couplesetfamilles.be  
- “Harcèlement scolaire : “C’est pour rire…””, Noémie Godenir, www.universitedepaix.org 
- “Le cyberharcèlement a pris le relais du harcèlement scolaire avec le confinement”, RTBF avec AFP, 8 novembre 2020.

Interview
”Parler, c’est un soulagement”



Rencontre avec le jeune disonais Dorian Duchesne, qui a créé avec le soutien de notre animateur Jacky Lacroix une vidéo intitulée “Le harcèlement”. Une invitation pour les victimes à libérer la parole sur le sujet et à ne pas rester dans l'isolement!

C’est sur une petite terrasse colorée, décorée de plantes et de fleurs, que nous rencontrons Dorian. Dans cet espace où le bruit de la circulation voisine reste présent, on se sent un peu comme dans un cocon. À l’abri, mais pas coupé du monde. Pendant que la vie grouille au-dehors, on commence les présentations: “J’ai 14 ans. Je vais entrer en 3ème secondaire à Verviers, option science. J’aime beaucoup faire du théâtre, je suis inscrit au Conservatoire. J’aime aussi le judo, faire du vélo, parler avec mes amis…”.

C’est un peu fortuitement qu’il s’est attelé à la vidéo: “J’ai fait un stage de stop motion où j’étais le seul enfant. On s’est tout de suite bien entendu. On a commencé par faire un projet commun, puis on a décidé d’en faire un chacun”.

La thématique s’est imposée à lui, presque immédiatement: “J’ai été harcelé en primaire, mon envie, c’était de faire une vidéo qui puisse aider. Je me suis basé sur mon vécu pour imaginer les scènes”.

Lorsqu’on lui demande si aborder ce sujet qui part de son expérience personnelle n’a pas été trop éprouvant émotionnellement, Dorian répond: “Non, depuis, j’ai changé d’école, je me suis fait de nouveaux amis, j’ai un peu mis ça de côté. J’ai même revu certaines personnes qui m'avaient causé des problèmes, et ça se passe bien maintenant”.

Le message principal du jeune vidéaste est clair, en cas de harcèlement, il faut parler à un adulte, à un référent, pour sortir du cercle vicieux: “C’est le PMS qui m’a aidé, la direction de mon école, et mes parents. Je veux vraiment m’adresser aux plus jeunes avec cette vidéo, leur dire que parler, c’est un soulagement, c’est la seule façon d’en finir. Il ne faut pas avoir peur des moqueries, car ça finit toujours par passer.”

Son interpellation ne s’adresse d’ailleurs pas qu’aux victimes, mais aussi aux autres acteurs du harcèlement, les témoins. Leur comportement passif ou encourageant est déterminant: “Le PMS nous a parlé de la dynamique du harcèlement, représenté par un triangle. Il y a le harcelé, le harceleur et les témoins. En fait, sans les moqueurs qui sont avec lui, le harceleur n’est rien, il faut qu’il soit avec les autres pour que le harcèlement se poursuive. Les témoins doivent aussi parler”.  

Véronique, la maman, ajoute: “À partir du moment où il a été prêt à quitter son ancienne école, tout a été mieux, il s’est épanoui. Le harcèlement, c’est comme une mauvaise herbe, il faut la couper à la base, pour éviter que cela n’envahisse tout! Le PMS de l’école a des techniques qui permettent de stopper des situations qui pourraient devenir du harcèlement, leur accompagnement est précieux.”

Ultime fierté pour Véronique, le fait que la vidéo ait été relayée par certains groupes en lien avec la thématique: “Elle a été partagée sur plusieurs groupes, une bonne dizaine d’associations actives contre le harcèlement l’ont relayée aussi bien en Belgique qu’en France.”

Vidéo à retrouver sur la chaîne YouTube du Centre culturel de Dison.

Dison
"Nina et Mariam", une vidéo contre le cyberharcèlement créée par des jeunes



En avril dernier, l’équipe du centre de planning familial de Verviers, la Maison de Jeunes et le Centre culturel de Dison ont publié une vidéo de prévention dont l’originalité est d’avoir été conçue par des jeunes, pour des jeunes. 

Comme dit précédemment, le cyberharcèlement touche de plus en plus de jeunes. Les réseaux sociaux et l’application Tik Tok sont particulièrement pointés du doigt, car derrière des vidéos jugées naïves, des dérives peuvent vite apparaître. 

La crise sanitaire et le confinement ne l’ont pas stoppé, au contraire, la toile l’a intensifié. Pour le combattre et libérer la parole, des adolescentes de la Maison de jeunes de Dison ont eu l’idée de créer une vidéo.

Le vécu comme outil de prévention

"On constate qu’il existe de nombreuses campagnes de prévention qui ne sont pas toujours comprises par les jeunes, car ils ne se sentent pas identifiés, explique Rémi Gueuning, Coordinateur du CPF-FPS de Verviers. Ici, de A à Z, les dessins, les dialogues, les images, tout le projet a été élaboré par les jeunes pour parler d’un vécu qu’ils vivent ou qu’ils connaissent et tenter de diminuer ce risque de cyberharcèlement."

Car il suffit parfois d’un rien pour déclencher les moqueries voire la haine. Comme ici, un simple commentaire posté sous une chorégraphie publiée sur Tik Tok. "On a voulu mettre en avant le rôle des témoins, poursuit Rémi Gueuning. En fonction de ses commentaires, il va influencer le cours des événements, surtout s’ils sont négatifs."

Tout peut alors très vite déraper et contrairement à ce que propose la vidéo, aucun retour en arrière n’est possible. "Le problème de l’écrit, c’est que c’est très direct et qu’on n’a pas le panel d’émotions qu’on peut lire sur le visage. Il faut donc réfléchir avant de poster un message et surtout se demander comment il pourrait être interprété avant de pousser sur envoyer."

Vidéo à retrouver sur la chaîne YouTube du Centre culturel de Dison.

Sources:
“Des jeunes se mobilisent contre le cyberharcèlement”, Audrey Degrange, Vedia, 26 mai 2021

Création
Un podcast autour du cyberharcèlement



Durant le stage stop motion mentionné plus haut, le micro du Centre culturel de Dison a enregistré les participant·es, alors en pleine réalisation de leur capsule vidéo “Nina et Mariam”. Les paroles récoltées constituent le nouvel épisode de notre podcast “Les voix de passage”.

Lors d’un atelier créatif, on dit souvent que ce n’est pas le résultat qui compte, mais le chemin pour y parvenir. Dans cet épisode, notre micro s’est fait tout petit pour tenter de vous partager un fragment de ce processus.

On y entend Adidi, Elma, Inès, Nisrine, Rizlane, Rosa et Jacky dessiner, découper, se taquiner, mais aussi discuter de leur utilisation des réseaux sociaux: “Tik Tok, je trouve pas ça intéressant”, dit Inès. “On utilise plus SnapChat, pour les filtres et pour discuter avec nos amis” racontent Nisrine et Rizlane. Leurs mots spontanés sonnent juste, amusent, étonnent parfois. 

Allez glisser une oreille dans cette tranche de vie d’atelier, prendre au vol ces quelques “voix de passage”!

Podcast à retrouver sur YouTube, Soundcloud, Spotify ou sur ccdison.be