Voilà plus d’un an que la crise sanitaire occulte bon nombre de préoccupations citoyennes, parmi lesquelles les questions liées au réchauffement climatique.















Dans un appel à signatures visant à défendre un monde après-covid plus vert et plus juste, Greenpeace indique : "2021 n’est pas seulement une année exceptionnelle en raison du COVID19 et de ses conséquences économiques et sociales. C’est également l’année de rendez-vous internationaux cruciaux pour l’avenir de la planète et de l’humanité."

Au début de la crise sanitaire, on parlait du "monde d’après", on pouvait même envisager cette pandémie comme un point de bascule positif, une opportunité de repenser nos fonctionnements. Une prise de conscience semblait poindre : notre façon de vivre et de consommer ne peut se faire sans heurts. Il planait alors une envie profonde de changement.

Depuis, l’état d’urgence est devenu la norme. L’ensemble de la population se trouve lassée par tant d’incertitude, par l’impossibilité de voir poindre la ligne d’horizon.

Cette fatigue, cette détresse psychologique qui peut nous atteindre à divers degrés, est un obstacle non négligeable à notre capacité de changement, notamment au niveau écologique.

Ce "monde d’après" semble si loin que la vie d’avant serait déjà, pour certain·e·s, le mieux à espérer, au risque d’invisibiliser d’autres enjeux de société. À l’heure où l’urgence de vivre semble se placer au-dessus de toutes les autres, voulons-nous vraiment d’un retour à "l’anormal"?

Avec l’écologie pour fil rouge, Présence vous propose de prendre le pouls de cette ère post-covid à travers deux exemples de mobilisation citoyenne et artistique.




Interview
"Il est urgent de semer un champ des possibles"

Rencontre avec Laurence Katina de la Compagnie bandits qui souhaite, avec l’adaptation théâtrale du livre Dans la forêt, créer des espaces de réflexions autour de cette époque de transition.



Pouvez-vous nous parler de ce livre (voir résumé plus bas)?

Il a été écrit en 1996 par l’auteure Jean Hegland. Il n’a pas été très exposé en Europe, on en parle maintenant parce qu’il fait écho à une multitude de choses très actuelles. Le changement qui a lieu dans cette société n’est pas le sujet du livre, même s’il est un peu évoqué : on sait qu’il y a eu des guerres, qu’il y a eu des coupures de courant qui devenaient de plus en plus régulières, qu’il y a eu un problème d’approvisionnement en pétrole aussi… Ce qui est détaillé, c’est plutôt comment les soeurs Nell et Éva vont vivre ces événements. On va les suivre dans leur cheminement d’acceptation de non-retour à la normale.

Qu’est-ce qui vous a interpellé dans cette histoire, en tant que citoyenne et en tant qu’artiste?

Depuis petite, j’ai une sensibilité très forte à l’environnement, à l’écologie, à la nature. La forêt a toujours été un endroit où je me suis sentie en sécurité et pleine de créativité.

En tant qu’artiste, ça fait bien 5 ans que j’ai envie de faire un spectacle qui parle du fonctionnement des sociétés et sur la façon dont nous pourrions les réinventer en partant de mouvements citoyens.

J’ai fait une première écriture, La Cabane, qui se situait dans une société post-effondrement. Ce travail a été remis en question lors du premier confinement. La pièce était assez noire et à ce moment- là, j’avais juste envie d’ouverture, d’optimisme. Lors d’un visionnement sur un public test de ce spectacle, un spectateur a mentionné le roman Dans la forêt, car il lui évoquait notre pièce.

C’était la deuxième fois qu’on m’en parlait. J’ai commandé le livre au début du confinement et très vite j’ai su que c’était cette histoire-là que je voulais monter.



Qu’est-ce qui vous a semblé intéressant dans le propos?

C’est le fait de se reposer la question de comment on fonctionne, quelles sont nos habitudes. Dans une société où tout s’achète, on perd la notion de savoir-faire, surtout dans les villes.

C’est intéressant de voir le nombre de personnes qui ont fait leur pain ou se sont promenées pendant le confinement. On a pu s’émerveiller de la nature, déjà parce que c’était l’une des seules activités que l’on pouvait faire, mais aussi et surtout parce qu’on avait du temps. Des gens se sont réintéressés à des choses qui étaient de l’ordre du savoir-faire ancestral.

En refermant le livre Dans la forêt, j’ai directement commandé un gros bouquin sur les plantes sauvages comestibles. Tout le monde se ruait dans les magasins, il y avait un doute sur leur capacité à rester ouverts. Je me suis dit qu’il fallait que je sache ce que je pouvais manger dehors. Ma démarche n’était pas angoissée du tout, j’avais juste envie d’apprendre. J’étais un peu dans le même état que Nell, l’un des personnages du livre, avec son encyclopédie.

Justement, un retour à "la normale" est-il vraiment souhaitable à la lueur de nos fonctionnements?

Dans ce retour à la normale, l’idéal serait de pouvoir concilier le fait d’avoir plus de temps, moins de contraintes et de pouvoir partager des savoirs avec nos voisin·e·s ou nos ami·e·s, apprendre à réparer nos objets cassés. Car il est important de fonctionner en groupe ou par échange.

Malgré tout ce que l’on peut reprocher à nos sociétés, elles sont bien faites! Notre système monétaire est un excellent système de troc. Tout n’est pas à jeter, mais l’évolution nous conduit à des extrêmes qui sont écoeurants. On a beau vouloir minimiser notre impact écologique, il y a tellement de produits low cost accessibles en e-commerce ou de contenus disponibles sur des plateformes de streaming… Qu’est-ce qui pourrait nous inciter à consommer de façon plus raisonnée?

J’allais vous demander quelles sont vos luttes et vos urgences dans notre société post-covid, mais j’ai l’impression que votre travail sur cette pièce révèle un rapport assez apaisé à l’avenir…

Je suis quelqu’un de très optimiste, je suis convaincue que peu importe ce qu’il se passe, ça ira.

Ce qui me fait peur, c’est de penser à l’une des situations évoquées dans le livre, à savoir plus d’approvisionnement en pétrole possible et donc plus d’approvisionnement de magasins. Comment réagirions-nous si nous n’avions plus à manger? De quoi serions-nous capables si nous avions réellement faim? Je ne suis pas adepte de collapsologie, je n’ai ni sucre, ni riz, ni armes planquées dans ma cave. Je ne crois d’ailleurs pas que c’est la bonne chose à faire, mais il me paraît urgent de semer des graines, un champ des possibles, que chacun et chacune ait conscience que nous pouvons vivre plus simplement, de façon plus autonome, et que la nourriture reste la base.

Mon envie de citoyenne serait qu’il y ait un maximum de gens armés intellectuellement ou armés de savoir-faire pour que cela se passe le mieux possible. Cela ne sert à rien de préparer un effondrement seul·e dans son coin, il faut que ce savoir devienne accessible, que ce soit de l’open source.

Nous pouvons dès aujourd’hui, nous préparer à un changement. Le savoir amène la confiance. Et nous avons besoin de confiance. Ce serait formidable de ne pas devoir arriver à un point de non-retour pour qu’il y ait un changement, mais cela dépend de tellement d’aspects. Et c’est tellement confortable d’avoir tout, tout de suite.

C’est aussi ce que j’ai envie de faire avec ce spectacle, peu importe notre parcours et comment on a vécu jusque-là, ce qui compte c’est l’envie, ce qu’on veut mettre en place à notre échelle, dans notre ville ou dans notre quartier pour que ça bouge!

RÉSUMÉ DU ROMAN: "Dans la forêt"
Rien n’est plus comme avant : le monde semble avoir vacillé, plus d’électricité ni d’essence, les trains et les avions ne circulent plus. Nell et Éva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au coeur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre en faisant confiance à la forêt qui les entoure.
Dans la forêt, Jean Hegland – Gallmeister





Association locale
The Green Youth : agir au quotidien

Les jeunes activistes engagés pour le climat n’échappent pas à l’effet covid. Si leur engagement leur permet de garder la tête hors de l’eau, iels souffrent du manque de perspectives pour prévoir des actions.



Emilien Maas est cofondateur du collectif The Green Youth, qui a fêté ses deux années d’existence le 20 mars dernier. Leur but? Regrouper les jeunes et moins jeunes qui veulent agir pour le climat dans les régions alentour de Verviers.

"Au départ, nous étions trois jeunes issus de la même école, on a décidé de créer un groupe qui touchait à l’environnement et au climat. Nous nous sommes rendu compte qu’il fallait faire quelque chose à une plus grande échelle. C’est comme ça qu’est né The Green Youth. Nous comptons maintenant six membres entre 16 et 27 ans. C’est une fierté, cet écart d’âge, ça nous apporte beaucoup d’expériences différentes".

Pour Émilien, le déclic écologique a eu lieu lors d’une manifestation pour le climat à Bruxelles. Devant cette énorme mobilisation, une réflexion se forme, pourquoi ne pas agir à son échelle? "Manifester, c’est bien, mais c’est important d’agir dans son quotidien, d’essayer de consommer plus local et un maximum zéro déchet. Il suffit qu’une personne le fasse, puis une autre et ainsi de suite. C’est ce qu’on essaie de montrer avec TGY".

Le point de départ du collectif : la sensibilisation sur les réseaux sociaux: "Nous avons travaillé sans relâche pour créer une communauté assez grande. Notre site est en constant développement, il regorge d’outils de sensibilisation à l’environnement, de fiches techniques, de recettes, de petites astuces… pour encourager le citoyen à soutenir l’économie locale et durable."

Un positionnement numérique que le collectif souhaite voir se décliner sur le terrain : "Nous avons la volonté d’organiser des événements en lien avec l’environnement, des conférences, des ateliers… en ligne ou non, ça nous tient vraiment à coeur".

Depuis plus d’un an, difficile de pouvoir agir concrètement : "J’ai toujours envie d’agir au quotidien, que ce soit pour TGY ou à titre personnel. C’est démotivant de ne pas pouvoir aller sur le terrain, on est derrière son écran de 8 h à 18 h. Il faut s’accrocher maintenant, pour que ce soit mieux plus tard et que l’on puisse recommencer le travail entamé avant cette situation. Ce n’est pas parce qu’il est difficile d’être dans l’action en ce moment que la lutte doit s’arrêter".

Émilien et les autres membres du collectif savent que le changement doit également être à l’agenda politique : "Nous avons l’objectif de rencontrer des élus locaux, pour les inciter à mener des actions politiques. Tant qu’il n’y a pas de changement concret au niveau des politiques, il n’y aura pas nécessairement de prise de conscience des gens."

www.thegreenyouth.be - Facebook/thegreenyouth.verviers





Illustration: Odile Brée.